Le 25 juillet, Kaïs Saïed, juriste de formation, a invoqué la Constitution pour s’octroyer les pleins pouvoirs, limoger le chef du gouvernement Hichem Mechichi et suspendre le Parlement pour une période initiale de 30 jours, dans un pays qui reste, dix ans après, l’unique rescapé du “Printemps arabe”.
À l’approche de cette date butoir, la présidence tunisienne a publié lundi soir un communiqué sur son compte Facebook : le chef de l’État “a émis un décret présidentiel prolongeant les mesures d’exception concernant le gel des activités du Parlement ainsi que la levée de l’immunité de tous les députés et ce, jusqu’à nouvel ordre”.
Une décision attendue
Alors que Kaïs Saïed a gardé le silence ces derniers temps, cette décision était “attendue”, a affirmé à l’AFP le politologue Slaheddine Jourchi, dans la mesure où “nous avons constaté une certaine lenteur depuis le 25 juillet dans la prise de mesures importantes”.
“Il est devenu clair plus que jamais que le président ne veut personne d’autre que lui au pouvoir”
Selon lui, le président Saïed veut montrer, “à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, qu’il n’est pas dans la précipitation et qu’il est serein”, disposant “de tous les pouvoirs”. Il “prépare le terrain pour prendre des mesures qui pourraient être plus radicales”, telles que “le gel de la Constitution ou son abolition et la dissolution du Parlement”, a avancé M. Jourchi. “Il est devenu clair plus que jamais que le président ne veut personne d’autre que lui au pouvoir”, a-t-il conclu.
Face à l’ampleur grandissante des doutes sur les intentions du chef de l’État, la présidence a indiqué dans son communiqué qu’il s’adresserait “dans les prochains jours au peuple tunisien”, sans autres détails. Depuis son coup de force du 25 juillet, Kaïs Saïed n’a toujours pas nommé de nouveau gouvernement ni dévoilé de “feuille de route”, réclamée par plusieurs partis politiques et des organisations de la société civile. À cette date, il avait annoncé prendre en charge le pouvoir exécutif, avec “l’aide du gouvernement” appelé à être dirigé par un nouveau chef désigné par ses soins.
“Coup d’État constitutionnel”
Sa décision a été dénoncée comme un “coup d’État” par certains juristes et ses adversaires politiques, en particulier le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, qui en tant que principale force parlementaire fait figure de principal perdant.
Lundi 23 août au soir, peu avant l’annonce présidentielle, ce mouvement a annoncé dans un communiqué le remplacement de l’ensemble de son bureau exécutif “afin de répondre aux exigences de la période actuelle”. Il n’a pas encore réagi à la prolongation du gel du Parlement.
Face aux accusations, Kaïs Saïed répète agir strictement “dans le cadre de la loi” et de la Constitution, adoptée en 2014 dans le contexte post-révolutionnaire. Nombre de Tunisiens ont en outre accueilli avec enthousiasme les mesures du président : exaspérés par leur classe politique, ils attendent des actes forts contre la corruption et l’impunité dans un pays où la situation sociale, économique et sanitaire est très difficile.
Mais si le président bénéficie d’une forte popularité en Tunisie, son coup d’éclat préoccupe la communauté internationale, qui craint que le berceau des printemps arabes ne régresse vers l’autoritarisme.
La “purge” anticorruption enclenchée depuis le coup de force de juillet focalise les craintes d’un recul des libertés en Tunisie, où la liberté d’expression est aussi parmi les principaux acquis à la faveur de la chute de la dictature de Zine el Abidine Ben Ali en 2011.
Des anciens responsables, hommes d’affaires, magistrats et députés sont visés par des arrestations, interdictions de voyage et assignations à résidence, sur simple décision du ministère de l’Intérieur, sans justification, ont dénoncé des défenseurs de droits humains.
Théoricien du droit, Kaïs Saïed se présente depuis son arrivée au pouvoir en 2019 comme l’interprète ultime de la Constitution, et s’appuie sur l’article 80 qui envisage des mesures exceptionnelles en cas de “péril imminent” à la sécurité nationale.
“La liberté de déplacement est un droit constitutionnel, a-t-il récemment assuré. Mais certaines personnes devront rendre des comptes à la justice avant de pouvoir voyager.”