Avec son vaccin anti-Covid vendu à prix coûtant, Johnson & Johnson redore son blason

Le laboratoire américain Johnson & Johnson, entaché par des scandales liés à son talc et à la crise des opiacés, se refait une réputation avec son vaccin anti-Covid, vendu actuellement à prix coûtant mais potentiellement juteux à long terme.

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Le siège de Johnson & Johnson à Irvine, en Californie. Crédit: Mark Ralston / AFP

Autorisé depuis jeudi par l’Union européenne, il est déjà approuvé aux États-Unis, au Canada et en Afrique du Sud. Si son déploiement se déroule sans accroc majeur, cela pourrait aider Johnson & Johnson (J&J) à retrouver un prestige émoussé.

“L’industrie pharmaceutique, largement admirée dans les années 1990, a perdu beaucoup de son aura à cause des prix des médicaments”, souligne Damien Conover, spécialiste du secteur de la santé chez Morningstar. Les laboratoires “peuvent être perçus comme arrogants quand ils affirment que la seule solution à un problème de santé est un médicament”, renchérit Daniel Binns, responsable de la société de conseil en marketing Interbrand. “Ils donnent souvent l’impression d’agir uniquement pour l’argent et non pour le bien de l’Humanité”, ajoute-t-il.

La réputation de Johnson & Johnson a été un peu plus accablée aux États-Unis par les poursuites judiciaires accusant son talc d’être responsable de cancers et ses méthodes marketing d’avoir participé à la crise des opiacés à l’origine d’une explosion des overdoses.

Mission reconquête

Après avoir développé en un temps record des vaccins efficaces contre une pandémie qui a bouleversé le monde entier, les laboratoires auraient tort de ne pas saisir cette opportunité “pour se repositionner aux yeux du grand public” qui, pour la première fois depuis longtemps, “est réceptif à leurs messages”, estime Daniel Binns.

Pfizer a ainsi, en janvier, changé radicalement son logo pour la première fois en plus de 70 ans. Johnson & Johnson a d’autant plus une carte à jouer qu’avec ses shampoings et ses crèmes, c’est une marque du quotidien.

“Nous avons estimé qu’en tant que plus grand vendeur de produits de santé au monde, nous avions la responsabilité de monter au créneau” quand la pandémie est survenue, avait expliqué le directeur financier de J&J, Joseph Wolk, lors d’une conférence début mars. Le groupe a très rapidement assuré qu’il vendrait ses vaccins au prix coûtant tout en reconnaissant que cela aurait un impact “bénéfique” pour les activités.

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Les patients vont retourner sans crainte voir leur médecin et arrêter de repousser des opérations non urgentes tandis que les consommateurs vont repartir en vacances. Les ventes de médicaments, de prothèses ou de crèmes solaires vont donc repartir à la hausse.

Le groupe pourrait aussi décider, une fois la pandémie sous contrôle, de commencer à tirer profit du vaccin anti-Covid. Sans doute pas en 2021, selon M. Wolk. Mais s’il est nécessaire de revacciner ou de lutter contre les variants du Covid-19, “on pourrait commencer à envisager de nouvelles opportunités à partir de 2022”. Le groupe “doit avancer prudemment sur ce sujet, car il a reçu des fonds publics pour développer le vaccin”, souligne toutefois M. Conover.

Le vaccin : un succès commercial ?

Il est compliqué d’évaluer aussi bien les risques en termes de réputation et juridiques des procès liés au talc et aux opiacés que les éventuelles retombées financières du vaccin anti-Covid sur J&J, tant le groupe a des activités diverses et éparpillées géographiquement, remarque Sel Hardy, analyste pour CFRA.

Mais “il est indéniable” que même s’il n’en retire pas d’argent immédiatement, le vaccin représente “un succès commercial” pour le groupe : il est moins cher que d’autres et pratique avec sa dose unique, plus efficace que les vaccins développés selon la même méthode.

La question est désormais de savoir si J&J va pouvoir utiliser sa nouvelle aura dans ses discussions sur les prix des médicaments avec les gouvernements. “J’aimerais penser qu’on va pouvoir profiter d’un effet de halo positif dans nos prochaines négociations serrées, mais je pense que c’est un peu trop optimiste”, a estimé le directeur financier début mars.

À Washington, la baisse des prix des médicaments est défendue aussi bien par les républicains que par les démocrates et Joe Biden en a fait une promesse de campagne. Pour M. Conover toutefois, “les responsables politiques ont constaté (avec la pandémie) l’importance d’une industrie pharmaceutique vigoureuse, ce qui pourrait limiter l’ampleur de toute réforme” sur le sujet.