Dans la soirée du 26 juillet, les autoroutes du royaume ont été prises d’assaut par les voyageurs routiers. Quelques heures plus tôt, en fin d’après-midi, un communiqué conjoint de l’Intérieur et de la Santé annonçait la fermeture de huit villes, effective dès le jour même à partir de minuit : Tanger, Tétouan, Casablanca, Berrechid, Settat, Marrakech, Fès et Meknès.
Craignant de se retrouver isolés et loin de leurs familles, en particulier durant le week-end de Aid El Adha, des milliers de voyageurs se sont alors précipités en direction des autoroutes, où un trafic ainsi que des embouteillages monstres les attendaient. Et pour rentrer chez soi, tous les moyens sont bons. Tout comme les gares ferroviaires et routières ainsi que les autoroutes, les groupes en ligne de covoiturage ont été pris d’assaut.
3h30 pour faire Rabat-Casa, aucune mesure pour encadrer l’effet de panique et la saturation annoncée des axes routiers,…
Publiée par Faïçal Tadlaoui sur Dimanche 26 juillet 2020
“En vingt ans, je n’ai jamais vu de tels bouchons”, nous raconte Adam le lendemain matin, qui était en déplacement à Rabat la semaine dernière, et a dû se précipiter pour regagner Settat, où il réside auprès de sa famille. “Nous avons pris la route à 19 h 30, et il a fallu attendre 20 heures pour seulement arriver à l’autoroute. Le trajet de Rabat à Casa a duré 2 h 30, et je ne suis arrivé à Settat qu’à 0 h 30. C’est surtout entre Casa et Berrechid que c’était le plus serré.” Rabat-Settat en quatre heures, un record.
المسيرة ….التقلية pic.twitter.com/gVNcdgVpTs
— Le Constateur (@lconstateur) July 27, 2020
“Situation inédite”
Contactée par TelQuel, la Société nationale des Autoroutes du Maroc explique avoir “fait face à une situation inédite et exceptionnelle, dès l’annonce de la décision (de l’Intérieur et de la Santé, ndlr)”. “Nous avons dû gérer un volume et des pics de trafic inhabituels”, ajoute notre source officielle, qui assure par ailleurs que “tous les acteurs intervenants sur le réseau autoroutier se sont mobilisés de suite : ADM (patrouilleurs, tours de contrôle, assistance, etc.), gendarmerie royale, protection civile”. En termes de dispositions mises en place, ADM rapporte avoir “procédé à une adaptation des voies de péage au volume de trafic enregistré sur chaque gare”.
Quant aux différents accidents relayés sur les réseaux sociaux, ADM se veut rassurante : “Les accidents, au vu du contexte, ne sont pas à des proportions anormales et ont été bien maîtrisés. Ceci a été possible grâce aux usagers de l’autoroute, dont la majorité a su faire preuve de patience.” Questionnée sur le nombre exact d’accidents, de blessés et de morts recensés, ADM nous informe être “en train de faire le point sur la situation en cours avant de donner plus d’informations par la suite”.
Le crash du dimanche noir
Sur le net, l’annonce de la fermeture des huit grandes villes a jeté de l’huile sur le feu. Au menu, on retrouve des vidéos de voiture en feu sur les routes, supposément suite à un accident. Certains internautes sont même allés jusqu’à faire un rapprochement avec la soudaineté de la décision de fermeture des frontières nationales, le 14 mars dernier. Quant aux fils d’actualité Facebook, Twitter ou Instagram, ils regorgent de statuts coups de gueule, témoignages, photos et vidéos des embouteillages et accidents ayant eu lieu dans la soirée du 26 juillet.
“Ces décisions prises à la dernière minute entraînent la mort des gens”
Sur un long post Facebook, le journaliste Rachid El Belghiti a également fait part de son périple de la soirée du 26 juillet, marqué par un accident aux environs de Rabat. Le journaliste raconte qu’il était en voiture en compagnie de sa famille. Quelques secondes seulement après qu’il a allumé ses feux de détresse, un jeune conducteur est entré en collision avec sa voiture, renversant ainsi le siège du nourrisson. Encore sous le choc, il compare dans une publication Facebook les autoroutes nationales à une “place publique d’exécution”.
كنت صحبة أسرتي، كان بيننا طفل رضيع.. كادت ان تقتلنا الحكومة.
ذهبنا، ليلة السبت، الى الدار البيضاء كي نترك أطفالنا تحت…
Publiée par Rachid Elbelghiti sur Dimanche 26 juillet 2020
Soufiane, qui a pris la route dans la soirée du dimanche, est également l’auteur d’une vidéo au bord de l’autoroute de Casablanca, qui a été visionnée plus de 264.000 fois. En provenance de Nouaceur et en direction de Casablanca, son trajet a duré 2 heures, contre 30 minutes en temps normal. “Entre ces deux villes seulement, j’ai vu deux accidents, en plus d’une voiture en train de brûler. Tout le monde voulait passer en même temps, et les gens se sont retrouvés à emprunter la bande d’arrêt d’urgence pour rouler”, raconte le témoin. “Puis, lorsque je suis arrivé près de l’ISCAE, j’ai vu les pompiers arriver… Or, ils se sont eux-mêmes retrouvés bloqués dans les embouteillages, et n’arrivaient pas à avancer.”
Une internaute désemparée a elle choisi de se filmer pendant le trajet, afin de dénoncer la situation. En musique de fond de la vidéo, de lourds klaxons incessants. “Ces décisions prises à la dernière minute entraînent la mort des gens”, déplore la jeune femme, qui vient de passer trois heures en voiture pour aller de Casablanca à Mohammedia, dans une vidéo qui mêle colère et inquiétude.
“Est-ce que pour eux le peuple est un animal ? Est-ce que ce pays, est-ce gouvernement pense que son peuple est un insecte, à prendre une décision vers 18 heures et l’appliquer à minuit ?” s’écrie la jeune femme sur la vidéo. “Regardez les routes, regardez ! (…) Les gens qui sont morts aujourd’hui ne sont pas morts du coronavirus, ils sont morts d’accidents de la route.”