Si les comportements en situation de crise ne peuvent présager avec certitude du futur, certains des résultats montrent des tendances nouvelles qu’il convient d’observer de près. Malgré une solidarité nationale sans précédent, les Marocains accusent le coup et revoient leurs priorités.
Face à cette crise, le Maroc a déployé des mesures économiques et sociales exceptionnelles avec notamment la mise en place d’aides pour pallier la baisse de revenus des foyers les plus impactés. Une solidarité nationale s’est également mise en place à travers la création d’un fonds dédié auquel ont contribué les principaux acteurs économiques, mais également les citoyens marocains eux-mêmes. Près de 45 % des foyers les plus modestes interrogés déclarent avoir bénéficié d’aides de sources diverses (associations, ONG, amis et famille…). Une solidarité parfois spontanée et qui s’est aussi organisée sur les réseaux sociaux et plateformes de levée de fonds.
Néanmoins, les difficultés auxquelles fait face une grande partie de la population marocaine sont grandes. 60 % des répondants à l’étude ont déclaré avoir arrêté de travailler pendant au moins une partie de ce confinement, pâtissant ainsi d’une baisse de revenus temporaire qu’ils estiment en moyenne à 40 % de leurs revenus pré-confinement2. Cette baisse a été amortie par les aides directes, en particulier pour les foyers les plus modestes qui ont déclaré une baisse de revenus de 62 %, ramenée à 34 % en moyenne après réception des aides.
Les foyers endettés, eux, se retrouvent dans une situation délicate. 84 % des répondants ayant un crédit en cours pensent demander un rééchelonnement, un décalage ou une réduction des mensualités. Enfin, si 65 % des répondants déclarent être optimistes quant à un retour à leur emploi à la sortie du confinement (20 % sont incertains et 15 % pessimistes), près de la moitié des répondants pensent retrouver un niveau de salaire inférieur à celui préconfinement.
L’impact à court terme de cette situation risque de se traduire par une baisse significative des dépenses dites discrétionnaires telles que l’habillement et la restauration, plus importante que pour les achats nécessaires tels les produits alimentaires et ménager, le transport ou la santé. Cet impact négatif se ressent naturellement plus au Maroc que dans des pays jouissants d’un niveau de vie et d’un pouvoir d’achat plus élevé, et dans lesquels le BCG a conduit des études similaires.
Cependant, une part plus importante des Marocains déclare prévoir de maintenir ou augmenter son budget de voyage par rapport aux autres pays étudiés (32 % au Maroc vs 22 % en France, 19 % en Italie et aux USA), reflétant une volonté de profiter de la période estivale qui peut constituer une opportunité pour les opérateurs nationaux.
Digitalisation accélérée : illusion ou réalité ?
Ce contexte a aussi accéléré l’adoption du digital. En effet, alors qu’une étude de l’ANRT4 révélait qu’en 2018, seulement 14 % des Marocains avaient déjà effectué des achats en ligne, 21 % des répondants à notre étude déclarent avoir effectué un achat en ligne (jusque 50 % dans les CSP les plus élevées3). Cette hausse a surtout concerné l’habillement, les produits de beauté et l’électroménager.
Les entreprises marocaines ont cependant encore un effort de développement d’offre e-commerce et de pédagogie à faire puisque 36 % des répondants déclarent avoir souhaité faire des achats en ligne, mais ne pas avoir réussi (ce chiffre grimpe à 56 % pour les CSP les plus faibles3). Parmi les raisons invoquées : l’indisponibilité des produits souhaités sur les plateformes e-commerce consultées, mais aussi les difficultés à utiliser ces plateformes.
Il y aurait donc, en plus des 21 % de clients e-commerce actuels, un potentiel latent, en attente d’une offre digitale plus adaptée — une opportunité pour les acteurs du e-commerce au Maroc, à condition de travailler sur ces points de blocage.
Le début de la fin du cash ?
L’appel du digital affecte aussi les moyens de paiement. En moyenne, 18 % des répondants déclarent avoir diminué leur usage de l’argent liquide au profit de moyens de paiement électronique. Or, ce chiffre monte à 35 % dans les CSP les plus élevées3.
Le clivage semble se confirmer puisque près de 50 % des répondants des CSP élevées3 préféreraient utiliser des moyens de paiement électronique (carte bancaire et paiement mobile) s’ils étaient proposés par leur commerçant, alors qu’ils ne sont que 20 % à partager cet avis dans les CSP inférieures.
L’enjeu reste, au-delà de ce clivage, l’équipement des commerçants, qui n’ont pas encore tous saisi l’opportunité d’offrir ces moyens de paiement à leurs clients.
L’hygiène s’invite dans le débat
Autre évolution notable : la (nouvelle) place prise par l’hygiène. Elle est, dans le contexte actuel, placée par 60 % des répondants comme premier critère de choix du magasin pour faire leurs courses. Les consommateurs, y compris dans les milieux les plus modestes, déclarent même être prêts à s’éloigner en moyenne 12 minutes de plus de leur domicile et à payer en moyenne 10 % plus cher, pour effectuer leurs achats dans un magasin assurant une plus grande sécurité sanitaire.
Dans ce contexte de prime à l’hygiène, les marchés traditionnels, autrefois préférés des Marocains, génèrent des craintes : 89 % des répondants déclarent s’y sentir vulnérables à une contamination. Les grandes surfaces peuvent, quant à elles, plus mettre en avant les mesures strictes prises pour assurer la sécurité des visiteurs, alors que le commerce de proximité rassure en raison d’une plus faible exposition à d’autres acheteurs.
Globalement, le secteur de la grande distribution a bien résisté et il existe une opportunité de capitaliser sur ces tendances pour pérenniser l’accélération de la distribution moderne. À l’international, les supermarchés ont bénéficié des mesures de prévention et ont pu compter sur un ticket moyen plus élevé qu’auparavant, et malgré une baisse de fréquentation.
Quelles leçons en tirer ?
En dépit d’une solidarité nationale exceptionnelle, la crise du Covid-19 et ses implications économiques et sociales ont donc eu un impact significatif sur le pouvoir d’achat des ménages. Elle a aussi changé la manière dont les Marocains consomment — même si cela ne se manifeste pas de façon équivalente pour l’ensemble des classes sociales : adoption du digital, recul de l’argent liquide et attention à l’hygiène sont les tendances qui se dégagent et qui pourraient s’inscrire dans la durée.
Il s’agit, pour les entreprises, de construire une nouvelle boussole pour observer de près les signaux faibles et d’accompagner ces tendances, si elles se confirment. Pour cela, elles devront faire preuve de créativité, d’agilité et d’esprit d’innovation. Et si ces tendances devaient encore s’accentuer, c’est à un véritable changement de paradigme qu’elles seront appelées à répondre.
(2) Hors aides étatiques reçues.
(3) Catégories socioprofessionnelles : D/E (dites CSP les plus faibles) : revenu mensuel de moins de 3000 Dhs par ménage ; C2 : de 3000 à 7000 DH ; C1 : de 7001 à 15000 DH ; B : de 15001 à 30000 DH ; A : plus de 30000 DH (A et B dites CSP les plus élevées).
(4) ANRT – Enquête de collecte des indicateurs TIC auprès des ménages et des individus au niveau national au titre de l’année 2018.