Le discours économique du Post-Covid-19 domine l’espace médiatique. Notre machine économique n’est pas tombée en panne au milieu d’une autoroute claire et balisée. Bien avant ce virus, notre pays s’était lancé dans un effort de repenser son modèle de développement face à un libéralisme économique et social fragilisant. La nécessité de repenser notre stratégie est d’autant plus vitale maintenant que le monde économique, politique et social de demain sera fondamentalement différent du monde qu’on aura connu jusqu’à aujourd’hui. Le Covid-19 annonce l’aube d’un monde nouveau.
Le modèle global de production et de consommation n’était plus durable. La crise du Covid-19, sans en éliminer les failles déjà identifiées, en a révélé bien d’autres qu’on était loin de soupçonner. L’intégration mondiale grandissante est fondée sur une mobilité croissante des capitaux, des biens, et des personnes. Et c’est justement cette mobilité que le virus vient de frapper de plein fouet. Les deux tiers de l’humanité sont confinés. En quelques semaines, le SARS-CoV-2 a ébranlé nos croyances et certitudes. Les plus forts n’étaient pas nécessairement les plus résilients et les mieux préparés.
Notre empiétement sans limites sur la flore et la faune sauvages, le changement climatique, la mondialisation croissante, la densification du tissu urbain et la précarisation environnementale et sociale progressive produiront de plus en plus de défis politiques, économiques, sociaux, environnementaux et sanitaires -dont le Covid-19 n’est que l’exemple le plus récent- qui ignoreront les frontières et mettront notre mobilité à l’épreuve beaucoup plus fréquemment et intensément que par le passé. Le monde futur aura une mobilité redéfinie et réduite.
Même s’il est plausible que l’on puisse retrouver un semblant de normalité en ressuscitant le passé à force d’exceptions et de planche à billets, l’avenir n’appartiendra qu’à ceux qui oseront le réinventer. Mais au préalable, il va falloir se préparer à faire face aux crises et en sortir renforcé, plutôt qu’affaibli. Une rupture avec le ou les modèles connus, s’impose. La pandémie Covid-19 nous en offre la précieuse opportunité.
Il s’agit donc, en plus de « redémarrer, relancer, protéger, soutenir le Made in Morocco, et exporter » de réinventer le Maroc. Sans oublier, bien sûr, de rebâtir nos secteurs économiques en mieux. Ignorer la réalité émergente, et ne pas prendre en considération l’anti-fragilité ou la résilience économique et sociale serait une grave erreur à long terme. La flexibilité institutionnelle, l’ouverture à de nouvelles options, et un leadership participatif et stimulant, seront essentiels.
La question à poser est la suivante : quel Maroc faut-il réinventer pour prospérer dans un monde susceptible de générer des crises sanitaires, économiques, politiques et militaires avec une fréquence plus élevée que par le passé ? Qu’elles sont leçons de la crise actuelle au niveau national et mondial ?
Le Maroc a pris la bonne décision au bon moment étant donné ses capacités limitées et sa précarité sanitaire. Ce qui nous a permis d’aplatir la courbe d’infection et de limiter le nombre absolu des cas d’infections et de décès. Une action tardive et non coordonnée nous aurait menés à un désastre sanitaire néfaste et un moral au plus bas. La bonne gestion de la pandémie nous a valu une fierté bien méritée.
Le Maroc connaît ses limites. Avec un système sanitaire en perte de vitesse, un niveau de développement humain bas fragilisé par une inégalité croissante, le Maroc n’avait pas le droit de procrastiner. Le Maroc connaît pareillement ses atouts. Un leadership éclairé, une administration rodée, un système de sûreté efficace et un peuple solidaire. Le pays a même découvert de nouvelles forces cachées ou ignorées. Avec un objectif clair, accompagné par une dynamique d’encouragement et de soutien au talent, initiative et innovation, les énergies se libèrent et trouvent mille et une façons de contribuer au panier d’idées et de réalisations. La coordination peu commune entre différents ministères et institutions depuis le début de la crise au-delà des clivages politiques et administratifs n’a pas surpris, mais était certainement l’exception. Mais, pourquoi l’exception ne deviendrait-elle pas la règle ?
Ces capacités et compétences qui s’étaient exprimées avec brio en ces moments de crise étaient bel et bien là. Mais ni le secteur privé ni le secteur public, victimes d’une vision étroite et de cécité institutionnelle n’auraient permis que ces capacités s’expriment aussi librement. Bref, la crise du Covid-19 nous en aura appris beaucoup plus sur nous-mêmes que sur le virus qui l’aura causée. Espérons que ces leçons ne seront pas oubliées de sitôt. Nous avons bien des compétences, mais celles-ci ne s’exprimeront que si on ne leur met pas les bâtons dans les roues.
Tout n’a pas été rose, cependant, tel que montré par le dernier rapport de HCP. Des pans de l’économie marocaine sont à l’arrêt. 44% de la classe pauvre, et 26% de la classe moyenne ont vu leurs sources de revenus tarir. Nombreuses sont les familles qui ont dû puiser dans leur épargne, s’endetter, ou faire appel à la solidarité. Le RAMED et la CNSS venus à la rescousse des plus démunis ont révélé leurs failles au grand jour. Les plus précaires sont toujours les moins bien servis. La digitalisation montre son énorme potentiel et révèle en même temps le besoin de l’adapter à une réalité diverse et une société à plusieurs vitesses. La digitalisation, qui est possible, devrait être plus stimulante pour une société plus efficiente et un citoyen valorisé.
Notre énorme capital social s’est clairement manifesté. Le confinement strict était nécessaire, mais douloureux. La société marocaine est précaire. Le sacrifice ne sera toléré dans l’avenir que dans la mesure où il est reconnu et apprécié. La masse des travailleurs sans CNSS et des travailleurs dans l’informel, retrouvés sans ressources du jour au lendemain, mérite notre attention. Leur survie et la survie du secteur informel sont aussi importantes que le redémarrage du secteur privé. Il en va de la crédibilité, de la stabilité, et de la légitimité sociale du pays.French translation.
Une évaluation rapide, quick and dirty, de la crise actuelle au niveau global nous permet d’identifier quatre facteurs importants dans la rapidité de la propagation et de l’incidence de la pandémie dans plusieurs pays. Il s’agit du : degré d’ouverture et d’intégration du pays au système global ; du niveau de développement humain ; de l’équité économique et l’inclusivité sociale ; et, de la qualité de la gouvernance et de l’agilité institutionnelle. Il est possible d’ajouter un cinquième facteur valable à plus long terme, à savoir la diversification du tissu économique. Ces cinq facteurs conjugués indiquent le niveau de résilience, ou la capacité d’atténuer l’impact d’une crise en libérant et en mobilisant suffisamment d’énergies et de ressources pour s’en remettre et mieux se reconstruire une fois ladite crise terminée.
Le Maroc possède des fondations solides à renforcer. Sa force réside dans sa stabilité politique, son agilité institutionnelle, la diversité de son tissu économique et social, et la richesse et le dynamisme de son secteur informel. Le secteur informel contribue à la densification du tissu économique, et concourt à la stabilisation et à la légitimation sociale et politique. L’absence de protection sociale adéquate précarise ce secteur fondamental pour notre résilience.
En guise de conclusion, voici quelques suggestions pour un Maroc prospère post Covid-19.
Avec un globalisme réduit, on devrait développer des groupements régionaux basés sur la connectivité, la complémentarité et l’autosuffisance en ressources stratégiques. Des clusters qui se chevaucheraient pour assurer une intégrabilité, mais également une capacité de se déconnecter de la chaîne globale en cas de crise sans affecter pour autant la dynamique économique et sociale interne.
- Le Partenariat public, privé, et académique doit devenir la norme pour la recherche et le développement. Notre capital de créativité est capable de nous surprendre s’il est reconnu, nourri, respecté et valorisé.
- La philosophie de l’administration doit privilégier l’accès au service et non l’offre de bâtiments ou d’infrastructures physique. Notre infrastructure doit devenir intelligente. Un hôpital ou un dispensaire ne veut pas dire soins de santé. Une route plus large n’est pas la réponse optimale à l’embouteillage.
- La digitalisation doit aider à réduire le coût de l’infrastructure sociale et économique, et faciliter la participation positive du citoyen.
- Une protection sociale adéquate est nécessaire pour le secteur informel pour assurer son fonctionnement comme secteur productif et stabilisateur.
- Améliorer le niveau de Développement humain, réduire les inégalités, et promouvoir la bonne gouvernance et l’agilité institutionnelle devraient renforcer notre résilience pour le 21e siècle.
Conclusion : Nos décideurs publics et privés auront besoin d’un grand courage politique et d’une grande humilité pour remettre en question leurs idées bien enracinées. Le virage qui nous attend n’en demande pas moins. Nous ne devons pas rater l’opportunité offerte par cette crise.