Mahi Binebine : “L'écriture est une évasion”

En période de confinement, Mahi Binebine est comme un poisson dans l’eau. Pour TelQuel, l’écrivain et peintre livre ses introspections, ses activités du moment et son regard sur le jour d’après.

Par

Yassine Toumi/TelQuel

Comment vivez-vous ce confinement ?

Je n’ai jamais été aussi heureux qu’en cette période (rires). A vrai dire, la vie confinée est le quotidien des écrivains et des artistes. Me concernant, il me faut un crayon, du papier et une boîte à dessin pour être heureux. Pour les mois de mars et d’avril, j’avais une dizaine de déplacements prévus, je devais aller à Dubaï, à Paris, à Nouakchott, en Allemagne. J’étais donc censé passer la moitié de mon temps dans le voyage. Avec le confinement, j’ai pu écrire la moitié de mon livre. Je travaille comme un fou et j’écris cinq, six heures par jour et puis je peins le reste du temps, mon atelier étant en face de ma chambre. J’en profite donc pour peindre trois ou quatre heures. En plus, je retrouve mes filles (l’une était à Los Angeles, l’autre à Milan) pendant deux mois, alors qu’on était habitués à se voir une fois par an. On joue aux cartes, au Scrabble, je fais du sport, j’ai perdu six kilos (rires). C’est pour ça que je vous dis que je n’ai jamais été aussi heureux.

Votre quotidien se résume donc à l’écriture et à la peinture…

Exactement, comme avant. Dans mon atelier, je peins en écoutant des livres audio. Je viens de découvrir ce format, et je suis en train de me refaire tous les classiques. J’ai écouté Crime et Châtiment et Les Frères Karamazov de Dostoïevski, et là je suis sur Don Quichotte de Cervantès. Pour l’instant, je peins intelligent.

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Arrivez-vous à trouver l’inspiration en cette période ?

Très bien. L’écriture est une affaire intérieure. Même quand on est à l’extérieur, c’est dedans que ça se passe. Que je sois donc dehors ou confiné, ça n’a absolument aucune importance. Il s’agit d’une introspection systématique, on vit avec les personnages, quand ils sortent, on sort même avec eux. C’est une vraie évasion que d’écrire, que de lire d’ailleurs. Pour les gens qui lisent, c’est pareil ; l’endroit au final importe peu.

“Je travaille comme un fou et j’écris cinq, six heures par jour et puis je peins le reste du temps”, confie Mahi Binebine.

Vous dites être à la moitié de votre roman. Après avoir rendu hommage aux cheikhate dans Rue du Pardon, quelle sera la thématique du prochain livre ?

Ce sera peut-être un scoop pour TelQuel. Pour l’instant, le livre a un titre provisoire, Delirium. C’est l’histoire de deux personnages qui cohabitent dans le même corps et qui ne sont d’accord sur rien. J’en suis à la moitié du roman et je me bats avec moi-même pour le faire, parce qu’on doit être deux pour l’écrire (rires). C’est un roman que je prévoyais de finir en janvier ou février prochain. Mais je crois que je vais le finir avant l’été. Donc voilà, ce confinement me va.

Il pourrait donc paraître lors de la prochaine rentrée littéraire ?

Plus rien n’est arrêté pendant cette crise. La rentrée du printemps a été annulée, celle de septembre est compromise, on ne sait pas trop comment ça va finir. Me concernant, j’écris et c’est tout. De toute façon, avoir un livre d’avance, ce serait génial. Je suis toujours harcelé par mon éditeur. Pour une fois, je vais être à jour avec lui. Ce qui est sûr, c’est qu’il sera publié chez Stock en France et chez Le Fennec au Maroc, puis toutes les traductions. D’ailleurs, Le fou du roi va bientôt sortir en Angleterre et en Allemagne. En temps normal, je serais en train de courir faire la promotion du livre. Mais là, je me rends compte que je ne suis pas obligé.

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Au Maroc, le secteur du livre est lui aussi fragilisé par cette crise. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

On ne risque pas de perdre beaucoup, les gens ne lisent pas. Comme de toute façon, un best-seller c’est 3000 exemplaires, pas de best-seller, c’est juste moins 3000 (rires).

Comment envisagez-vous le Maroc après la crise du coronavirus, le jour d’après ?

J’y pense sérieusement. Je pense qu’on va remettre l’humain au centre de l’équation. Au lieu de parler de profit d’abord et de l’humain ensuite comme quelqu’un servant le profit, les choses vont peut-être s’inverser. D’une part, on va se rendre compte que l’humain compte avant le profit. D’autre part, cette crise a été un miroir pour voir toutes les lacunes de notre système de santé, de notre système d’éducation. Il va falloir se retrousser les manches et se remettre au travail, construire avec l’humain au centre. Nous l’avons compris depuis longtemps avec les centres que nous avons créés, Nabil Ayouch et moi. Il y en a quatre ouverts et deux qui vont ouvrir bientôt. C’est vital de s’occuper d’éduquer des gens, de construire un meilleur Maroc.