Une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux dès le mardi 21 avril 2020 montre des hommes de la commune de Boumalne-Dadès, dans la province de Tinghir, décharger un pick-up et jeter des chiens fraîchement abattus par balle dans une fosse commune, dont des chiennes allaitantes. Leurs chiots ont également été balancés dans ce tombeau improvisé, eux encore vivants.
Sous la vidéo, un commentaire affirme que “ce sont des chiens qui causent beaucoup de dégâts aux habitants de la région”, justifiant ainsi que “les communes organisent des battues quand leur nombre devient important”. L’internaute conclut : “Je suis de la région et je sais de quoi je parle.”
Sauf que l’abattage est loin d’être une solution, et qu’il est censé ne plus être pratiqué depuis février 2019.
Seule solution : le TNVR
Appliqué depuis des décennies, l’abattage des chiens errants a eu le temps de prouver son inutilité en termes de régulation de la population canine — il y a toujours autant de chiens dans les rues — et de protection de la santé publique — la rage est loin d’être éradiquée. La solution pour réguler la population canine et protéger la santé humaine ? Le TNVR, acronyme de Trap, Neuter, Vaccinate, Return (capturer, stériliser, vacciner, relâcher), recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), une méthode qui a fait ses preuves dans différents pays.
“Toutes les autres approches ont échoué, sans exception”
“Le TNVR a parfaitement fonctionné dans des villes indiennes : réduction du nombre de morsures et réduction voire éradication de la rage. Toutes les autres approches ont échoué, sans exception”, assure le vétérinaire Yassine Jamali. Il ajoute : “Le chien stérilisé et vacciné retrouve son territoire qu’il défend contre toute nouvelle intrusion de chien non vacciné et potentiellement enragé. Le chien vacciné et stérilisé devient de ce fait un agent protecteur de la population en sécurisant un territoire indemne de rage.”
Les autorités contre l’abattage
Alertée par des associations locales, Brigitte Bardot avait interpellé directement le roi Mohammed VI en avril 2017 au sujet de “l’inefficacité des méthodes actuelles, cruelles et brutales, de tir au fusil et d’empoisonnements”. Dans sa lettre adressée au souverain, elle poursuit : “Par ailleurs, il y a une coutume cruelle dont vous n’êtes pas au courant et que vous seul pouvez interdire : celle de vider les rues des chiens et chats avant le passage d’une personnalité ou une sortie de Votre Majesté.”
Et de conclure : “Votre Majesté, je vous prie d’intervenir pour stopper cette coutume cruelle et de soutenir le projet de stérilisation et vaccination des chiens et chats errants en cours avec l’association ADAN et la commune urbaine de Rabat.”
Une réponse positive du ministère de l’Intérieur n’avait pas tardé.
Moins de deux ans plus tard, une circulaire du ministère de l’Intérieur était envoyée à toutes les communes du Maroc pour “fixer un cadre réglementaire de coopération entre le ministère de l’Intérieur, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires et le Conseil de l’ordre national des vétérinaires dans le domaine de la prévention des maladies dangereuses transmises par les chiens et les chats errants, en particulier la rage. Afin également de prévenir la prolifération de ces animaux de manière dangereuse”.
Dans cette circulaire datant de février 2019, à aucun moment l’abattage ne fait partie des solutions proposées pour réguler la population canine. L’Intérieur y promeut la vaccination, la stérilisation, et idéalement l’adoption des animaux. Comment, dès lors, expliquer les massacres qui se sont poursuivis un peu partout au Maroc ? “Inexplicable” pour Yassine Jamali, qui souligne que “le recours à des méthodes cruelles telles que l’empoisonnement et l’abattage par balle constitue un manquement à des engagements officiels, car le Maroc est signataire des accords de l’OIE qui prennent en considération le bien-être animal”. Le vétérinaire déplore “le risque d’une convention cosmétique pour continuer à abattre en douce”.
Plein les pattes
Si la méthode TNVR est préconisée par les autorités — reste à la mettre en application et interdire clairement l’abattage —, c’est grâce au travail de particuliers, associations et vétérinaires qui ne cessent de réclamer sa mise en œuvre à l’échelle du pays.
D’autant plus qu’une première expérience de grande ampleur a été menée avec succès à Agadir par l’association Le cœur sur la patte, en association avec la ville. La mission a duré deux ans et a permis d’appliquer le TNVR à plus de 1500 chiens, mais s’est soldée par un changement de présidence au sein de la commune qui, en 2018, du jour au lendemain, a repris les abattages sur ces chiens pourtant vaccinés et stérilisés.
L’association avait alors mobilisé ses équipes en urgence pour récupérer le maximum d’animaux, et se retrouve aujourd’hui, malgré elle, à abriter plus de 700 chiens. “Les laisser dans la rue, c’était les envoyer à la mort”, nous expliquait Michèle Augsburger en décembre dernier. Indignée, elle nous affirmait ne plus vouloir être en lien avec la ville.
Yassine Jamali, de son côté, reste malgré tout optimiste. “L’évolution au niveau de la cause animale me paraît excellente du point de vue de la population, les réseaux sociaux jouent un rôle précieux”, mais il déplore “une application sur le terrain qui tarde en raison de la mauvaise compréhension des enjeux de santé publique par les responsables”.