Publié mardi 14 janvier, le rapport 2020 de l’organisation internationale Human Rights Watch (HRW), dont une version abrégée en français est disponible en ligne, met en exergue différentes atteintes aux droits humains dans plusieurs pays, dont le Maroc.
En ce qui concerne le royaume, il en ressort que les “lois répressives” continuent d’être appliquées, “notamment vis-à-vis des libertés individuelles” et que “les autorités ont continué à cibler certains détracteurs en particulier, à les traduire en justice, à les emprisonner et à les harceler”. Ce rapport annuel, qui en est à sa 30e édition, dresse un bilan au titre de l’année 2019 des pratiques des droits humains dans près de 100 pays.
Répressions massives
Parmi les éléments pointés par HRW, la confirmation par la Cour d’appel de Casablanca, le 6 avril dernier, du verdict prononcé en première instance pour les leaders du Hirak : “Ces derniers avaient été condamnés à des peines de prison allant jusqu’à 20 ans, et ce, principalement sur la base de déclarations qu’ils affirment avoir faites sous la torture, dans des locaux de police”, observe l’organisation. Celle-ci évoque également “une vague de répression policière en mai 2017” conduisant à “l’arrestation de plus de 450 activistes, dont une cinquantaine de leaders”, suite au mouvement social organisé dans le Rif et qui avait conduit à “plusieurs grandes manifestations pacifiques afin de lutter pour de meilleures conditions socioéconomiques”. Plusieurs de ces détenus avaient été graciés par le roi.
HRW condamne également les conditions de détention de ces leaders, en notant que “plusieurs d’entre eux ont observé des grèves de la faim pour dénoncer ce qu’ils estiment être un procès politique” et que le Code de la procédure pénale n’est pas respecté puisque “les détenus n’ont pas le droit à la présence d’un avocat lors de leur interrogatoire par la police, ou lors de la signature de leur déclaration”.
Associations entravées
Selon HRW, plusieurs associations ont été entravées dans l’exercice de leur activité. Donnée en exemple, la confirmation en appel le 16 avril 2019 de la dissolution de l’association culturelle Racines, suite au verdict prononcé en décembre 2018 “pour l’enregistrement d’une émission diffusée sur YouTube, au cours de laquelle des invités avaient critiqué les discours et les politiques du roi Mohammed VI”.
L’Association marocaine des droits humains (AMDH) s’est elle aussi vue limitée, rapporte HRW, “à au moins cinq reprises en 2019, notamment à Azrou, Tiznit et Benslimane, les autorités ont bloqué l’entrée de centres communautaires et autres salles de réunion où devaient se tenir des événements de l’AMDH”. S’appuyant sur les déclarations de l’AMDH, l’organisme international précise qu’au mois de septembre,“les autorités avaient refusé de procéder aux formalités administratives de 62 sections parmi ses 99 sections locales, les empêchant ainsi de mener des activités basiques telles que l’ouverture d’un nouveau compte bancaire ou la location d’une salle”.
Citoyens muselés
Autre point saillant qu’aborde le rapport, les atteintes à la liberté d’expression. HRW évoque ainsi plusieurs cas concrets, tels que les poursuites judiciaires enclenchées pour avortement, contre la journaliste Hajar Raissouni, son fiancé, son médecin, un assistant médical et une secrétaire médicale, qui avaient suscité un tollé national et international, avant qu’une grâce ne soit prononcée par le roi Mohammed VI.
HRW pointe également le maintien, décidé le 6 avril par une cour d’appel, de la peine de trois ans de prison écopée “pour non-dénonciation d’une menace contre la sécurité de l’État”, pour le journaliste Hamid El Mahdaoui qui avait couvert le Hirak d’Al Hoceima. “Le verdict reposait sur l’appel téléphonique donné, en mai 2017, à El Mahdaoui par un homme qui prétendait vouloir déclencher un conflit armé au Maroc. Le tribunal a récusé la ligne de défense du journaliste, selon laquelle il avait conclu que les déclarations de cet homme, qu’il ne connaissait pas, étaient un discours creux qui ne justifiait pas d’alerter les autorités”, détaille HRW.
“Le 11 février, la cour d’appel de Tétouan a condamné Soufian al-Nguad, 29 ans, à un an de prison pour ‘incitation à la rébellion’ après sa publication d’un post sur Facebook encourageant à manifester contre la mort de Hayat Belkacem”, relève le rapport.
Bémol sur les libertés individuelles
Aux yeux de HRW, il persiste une marge de progression quant à la protection des droits des femmes. “Le Code de la famille contient des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes, en matière de succession et de procédures de divorce” et s’il existe une loi condamnant certaines formes de violences faites aux femmes, son application est mise à mal puisqu’elle “n’énonce pas les obligations de la police, des procureurs et des juges d’instruction dans les affaires de violence conjugale, ni ne finance des centres d’hébergement pour femmes victimes de violences”.
Autre faille en matière de droits humains, l’interdiction de l’avortement “qui met en danger les droits des femmes, y compris le droit à la vie, le droit à la santé, le droit de ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le droit au respect de la vie privée”.
HRW rappelle par ailleurs que “dans un rapport publié en juin, le bureau du Procureur général a indiqué que, affaires de prostitution mises à part, 7721 adultes avaient été poursuivis en 2018 au Maroc pour relations sexuelles hors mariage. Parmi eux, 3048 ont été poursuivis pour adultère, 170 pour homosexualité, et tous les autres pour relations sexuelles entre personnes non mariées”, revenant sur les peines encourues par les personnes concernées et fixées par le cadre légal.
Lueurs d’espoir
Même si le projet de loi sur le droit d’asile n’a pas encore été adopté, le HRW précise qu’en juin 2019 “le ministère des Affaires étrangères avait délivré (ou lancé le processus administratif pour délivrer) des cartes de réfugiés, des permis de résidence spéciaux ainsi que des permis de travail à 803 personnes, d’origine subsaharienne pour la plupart, reconnues comme réfugiées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)” et que selon le bureau local du HCR, “l’ensemble des 6244 réfugiés reconnus par le HCR au Maroc depuis 2007 ont accès aux services publics d’éducation et de santé, et la plupart disposent de permis de résidence et de permis de travail régulier”.
HRW salue également l’entrée en vigueur en 2018 d’une loi encadrant la profession des travailleuses et travailleurs domestiques, permettant leur protection en matière de droit du travail, mais alerte toutefois sur le manque de communication de cette mesure législative auprès des personnes concernées et de leurs employeurs.