Les maux de l'ONSSA décortiqués par la Cour des comptes

Dans son rapport annuel pour le compte de l'année 2018, la Cour pointe différents dysfonctionnements concernant l'Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA). Parmi eux,  le manque de moyens humains et les failles sur les contrôles sanitaires.

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Le 11 septembre, la Cour des comptes (CDC) a établi son bilan annuel 2018 sur les différentes instances du pays. Entre autres, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) n’a pas été épargné. Le rapport de la CDC relève de nombreux manquements, notamment un manque d’indépendance, de contrôle dans les opérations de protection sanitaires, ainsi que l’inadéquation entre les missions et les moyens déployés.

Manque de moyens

Lors de sa création en 2009, l’ONSSA s’est vue fixer comme objectif “la préservation de la santé des animaux et des végétaux et la sécurité sanitaire le long de toute la chaîne alimentaire”. Or, la Cour rappelle la difficulté d’assurer cette mission avec les moyens humains et budgétaires actuels. “Au titre de l’exercice 2018, l’Office a disposé d’une enveloppe budgétaire globale de 1,25 milliard de dirhams et comptait parmi ses effectifs 1.775 agents”, rappelle la CDC qui juge ces moyens insuffisants.

Le rapport pointe principalement le manque de ressources humaines au sein de l’ONSSA: “les besoins de l’ONSSA en personnel, toutes catégories confondues, sont importants, d’autant plus qu’un nombre considérable de départs à la retraite a eu lieu ces dernières années (562 départs depuis 2013) et avec un rythme de plus en plus soutenu”. Le rapport souligne au passage qu’au Maroc, le taux d’encadrement pour les contrôles des produits végétaux est de 1 inspecteur pour 500.000 habitants. Ce ratio est de 1 inspecteur pour 17.000 habitants en France et 1 inspecteur pour 5.000 habitants au Canada.

Dans la réponse, le directeur de l’ONSSA reconnait la carence en moyens humains. D’après lui, “une réduction de 26% des effectifs a été enregistrée entre 2010 et 2018. De surcroît, et par rapport aux normes d’encadrement et du benchmark avec certains pays d’un niveau de développement similaire au Maroc, le besoin requis en ressources humaines supplémentaires est de 1900 agents”. Ce qui signifie que pour effectuer correctement ses missions, l’ONSSA devrait plus que doubler ses effectifs sur le terrain.

Insuffisance des contrôles

Ces manquements pointés par la Cour des comptes touchent différents secteurs phytosanitaires. Premièrement, les produits contenant des organismes génétiquement modifiés (OGM). D’après la CDC, “il n’existe pas actuellement au Maroc d’encadrement juridique pour les OGM malgré le débat international sur leurs risques potentiels sur la santé”. Le rapport souligne également que “l’importation de produits alimentaires contenant des produits issus d’OGM est tout simplement interdite. Or, il s’avère qu’il est aujourd’hui impossible pour les autorités sanitaires de se prononcer sur la présence d’OGM dans les produits alimentaires importés, si cela n’est pas mentionné dans l’étiquetage”. 

Concernant l’approvisionnement et le respect des normes phytosanitaires, la CDC pointe les infractions répétées des grandes et moyennes surfaces (GMS). “La plupart des enseignes de la grande distribution ne s’approvisionnent pas systématiquement auprès d’établissements agréés ou autorisés sur le plan sanitaire par l’ONSSA”, signale la Cour des comptes. Malgré des rappels à l’ordre de l’ONSSA, ces infractions persistent.

Sur la question des pesticides, sujet d’actualité, l’Office est également épinglé sur la qualité des contrôles pratiqués. Pourtant, depuis le 1er juillet 2019, une nouvelle norme plus restrictive quant à la concentration de pesticides a été mise en place. La Cour relève ainsi que 100% de l’absinthe consommée dans le pays est non conforme aux normes sanitaires. Il en est de même pour 59% de la menthe, 78% du persil et 36% de la coriandre sur le marché marocain.

Sur le circuit opérationnel et la récolte, la CDC explique dans son rapport que le respect de la durée avant récolte (DAR) n’est pas assuré. “Ainsi, le non-respect de cette durée par les producteurs peut engendrer l’existence au niveau des fruits et légumes d’un taux élevé de résidus de pesticides, qui risque de causer de graves problèmes à la santé humaine et nuire à l’environnement […] Les produits destinés au marché local sont hors contrôle en matière de traçabilité et de connaissance sur leurs contenus en résidus de pesticides”, notent les auteurs du rapport.

La cour signale également que “les services de l’ONSSA n’interviennent pas au niveau des marchés de gros de fruits et légumes, car ils considèrent que ces structures ne sont pas suffisamment organisées et qu’il y a absence de traçabilité des fruits, légumes et aromates (FLA) depuis l’exploitation jusqu’au marché de gros”. 

L’ombre de la tutelle

Dans son rapport, la Cour des comptes dénonce aussi la dépendance de l’office par rapport au ministère de l’Agriculture. Pour l’instance dirigée par Driss Jettou, il y a un paradoxe clair entre les objectifs du ministère et son plan Maroc Vert, visant à augmenter la productivité et le rendement agricole, et la mission de l’ONSSA qui consiste “à veiller à une utilisation rationnelle de ces produits (engrais, pesticides, NDLR) et en contrôler la teneur (résidus) dans les produits alimentaires”. Ce décalage pourrait selon la cour être expliqué par “le mode de gouvernance actuel”.

D’après les magistrats de la Cour des comptes, “le fait que le ministre de l’Agriculture assume le rôle du président du conseil d’administration de l’ONSSA peut provoquer une situation d’incompatibilité entre le souci politique de l’ordre public (éviter les situations de panique), d’une part, et la capacité d’énoncer des avis transparents basés exclusivement sur la vérité scientifique, d’autre part”.

La CDC note également l’absence d’une politique publique efficace dans la sécurité alimentaire à l’échelle nationale. Elle explique dans son rapport l’importance “de mettre en place un système de responsabilités et de contrôle bien définis, et de fournir aux consommateurs toute l’information nécessaire (contenu, composition et qualités des produits alimentaires) pour des choix éclairés”.

Elle considère que l’office national est aujourd’hui “dans l’incapacité de contrôler plusieurs maillons de la chaîne alimentaire, tous produits confondus”. L’instance dirigée par Driss Jettou réclame une meilleure implication des collectivités locales qui accordent les autorisations administratives, ainsi qu’un contrôle effectué par différents organes nationaux, dont certains ministères (Santé, Intérieur, Commerce et Industrie…) concernant des produits ou denrées spécifiques.