#Shortgate : Les shorts de bénévoles étrangères divisent le Maroc

Après la publication le 3 août d’une vidéo montrant un groupe de jeunes bénévoles belges, principalement des jeunes femmes, prendre part à des activités humanitaires, une vive polémique a agité les réseaux sociaux marocains et bien au-delà. Jusqu’à écorner l’image du royaume.

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Modes et mœurs font rarement bon ménage. Ces derniers jours, de jeunes belges ont fait, à leur insu, l’objet de vives réactions sur la Toile après la diffusion d’une vidéo, le 3 août, les montrant en train de réaliser des travaux de bénévolat à Adar, un village situé dans la province de Taroudant.

Mais ici, ce n’est pas leur bénévolat qui fait polémique, comme dans les cas de volontourisme, mais bien leur tenue, en l’occurrence des shorts, portés par les jeunes femmes, et brandis en chiffon rouge de la décadence sur les réseaux sociaux. Au commencement, la publication sur Facebook d’un enseignant, appelant “à couper les têtes” des bénévoles. L’instituteur entendait donner “une leçon à ceux qui ne respectent pas la foi musulmane”, a-t-il avancé. L’homme, âgé de 26 ans et résidant à Ksar El Kébir, a été interpellé par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) le lundi 5 au soir, pour “son implication présumée dans une affaire d’apologie et d’incitation à des actes terroristes”.

“Intolérances”

Depuis, on oscille entre amplification et embarras. Moins de vingt-quatre heures après la publication de l’enseignant, Ali El Asri, élu PJD à la Chambre des conseillers, y est également allé de son indignation. Ce dernier a fustigé sur Facebook “les tenues de baignade” arborées par les Européennes, sans se soucier de la forte chaleur estivale dans cette région du sud. Le parlementaire va jusqu’à émettre des doutes sur les supposées raisons idéologiques animant le groupe de jeunes bénévoles : “Sont-elles humanitaires ou auraient-elles d’autres buts, sachant que la région est encore connue pour son conservatisme et son intolérance face aux vagues d’occidentalisation et de nudité ?

Face aux réactions suscitées, l’élu s’est fendu d’une autre publication où il accuse le “terrorisme laïc d’user de toutes ses forces pour museler toutes les voix y compris celles des représentants du peuple au Parlement”. Depuis, les deux publications ont été supprimées du compte de l’élu. “Tout ce qui vient d’Occident n’est pas innocent, a-t-il expliqué à TelQuel Arabi. Certains, sous couvert d’humanitaire, ont été impliqués dans le viol d’enfants, mais se sont aussi avérés liés aux opposants à l’intégrité territoriale, lors de certaines activités dans le Sahara marocain”.

Contacté par TelQuel, Slimane El Omrani, vice-secrétaire général du PJD et porte-parole du parti invite l’élu à faire “davantage attention à ce qu’il écrit”. Des sanctions sont-elles prévues par la formation de la lampe ? “Nous n’avons rien fait jusqu’à présent, mais si l’on remarque qu’il y a des dépassements, nous n’hésiterons pas à le convoquer pour l’interpeler, détaille Slimane El Omrani. Et d’ajouter : “Au sein du parti, nous avons opté pour un choix, celui de la liberté d’opinion. Monsieur El Asri a une page Facebook où il exprime librement son opinion et personne ne peut limiter ou censurer sa parole”.

Ni sanctions ni désaveu de la part de la formation politique donc. Dans la soirée du 6 août, Ali El Asri a adressé au ministère de l’Intérieur — dont il est un ancien fonctionnaire —, une question écrite sur la “la nature des chantiers réalisés ou supervisés par des étrangers au Maroc”. Droit dans ses bottes, le député islamiste appelle à la “surveillance” et “la méfiance” de ces chantiers de bénévolat dont les objectifs sont “non-déclarés”.

Retour anticipé et annulation des camps à venir

L’action des humanitaires, au cœur du problème, vraiment ? L’association belge Bouworde, dont sont issues les bénévoles, n’en est pourtant pas à sa première expérience au Maroc. Voilà quinze années que l’organisation y mène des projets, dont dix dans le village d’Adar. Avec son concours, une école et un centre pour femmes ont pu être érigés et les trente-sept bénévoles présents en ce moment se chargeaient de la réparation de voiries endommagées suite aux fortes pluies et inondations qui ont frappé la région. Dans un précédent communiqué, depuis réactualisé, l’association informe que “la population locale accueille favorablement le travail de ces jeunes”, tout en concédant par moment “certaines réactions négatives de la part des habitants”.

Contacté par TelQuel, l’association n’a pas souhaité donner suite à notre demande tant que “le tumulte ne se sera pas apaisé” et afin de “respecter la vie privée” des trente-sept bénévoles sur place. “Pour le moment, les volontaires ont terminé leur travail à Adar et ont du temps libre pour découvrir le pays”, explique l’association flamande.

Mais l’ampleur prise par ce fait divers, largement relayé dans la presse belge et internationale, inquiète. Les parents des bénévoles en premier lieu. Dans un communiqué, publié le 7 août en fin de journée, l’association se voulait rassurante sur “la sécurité des volontaires, assurée par le gouvernement marocain et notamment par la présence de la gendarmerie”. Cependant, elle a annoncé qu’elle allait procéder au retour de trois volontaires désireux de regagner plus tôt leur pays d’origine. Deux autres vagues de bénévoles étaient prévues pour prendre le relai des différents chantiers menés, mais l’association a annoncé “annuler tous les camps ultérieurs au Maroc”, après avoir pris conseil auprès des autorités marocaines et du ministère belge des Affaires étrangères.

Contacté par TelQuel, le porte-parolat de la diplomatie belge nous a indiqué “fermement condamner les propos émis à l’encontre des ressortissants. Les services de police [marocains] ont fait un excellent travail”. La situation est suivie de près par les instances du Plat-pays, qui “profite de la situation pour appeler aux touristes belges à la vigilance au Maroc”. Sur le portail des Affaires étrangères belges, la dernière mise à jour datée du 17 juillet, ne manque pas d’informer que “le risque terroriste ou criminel à l’encontre des particuliers existe” et que des “manifestations ou des actes individuels d’hostilité à leur égard ne peuvent être totalement exclus.” De nombreuses chancelleries avaient mis à jour leur notice et consignes à destination de leurs ressortissants désireux de voyager au Maroc, après le double meurtre de touristes scandinaves à Imlil en décembre dernier.

Le travail des bénévoles au second plan, Imlil dans les mémoires

Parfum de scandale sur les commentaires des réseaux sociaux, caisse de résonance des indignations sélectives. Les uns critiquent des tuniques “contraires aux valeurs du pays”, notamment sous les publications de l’instituteur et de l’élu. D’autres condamnent les propos des premiers, faisant pour beaucoup référence au souvenir d’Imlil, encore présent dans les mémoires. Il est reproché aux deux hommes de faire l’apologie du terrorisme. Une attaque qu’El Omrani rejette : “Ce que le parlementaire a écrit n’a rien à voir avec le terrorisme. Il s’agit d’une opinion personnelle, on peut être ou ne pas être d’accord avec ça, mais on ne souhaite pas répondre à ces attaques.”

#TousEnShortA PARTAGER UN MAXIMUM : S(H)ORTONS LES ! TOUS EN SHORT …S(H)ORTONS LES !S(h)ortons les ces…

Publiée par Ahmed Ghayat sur Mercredi 7 août 2019

Dans la foulée, une cinquantaine de figures marocaines, principalement issues des milieux médiatiques, culturels et associatifs, ont lancé une pétition pour contrer les messages de menaces de mort qui ont proliféré sur les réseaux sociaux. “Il n’est pas acceptable que de tels individus prennent ainsi en otage toute une population. Pour le projet de société qui est le nôtre et que nous défendons, nous ne pouvons laisser de tels propos sans réaction”, écrivent les signataires emmenés par Ahmed Ghayat. S’ils “assur[ent] ces jeunes filles de [leur] soutien, de [leurs] remerciements fraternels”, il est également demandé que l’enseignant “soit poursuivi pour apologie du terrorisme” et que le parlementaire “remette sa démission”. Sur les réseaux sociaux, une campagne sous les hashtags #shortonsles et #shortsgate a vu le jour, en guise de solidarité avec les bénévoles belges.

Reste qu’à l’international, l’image du Maroc, longtemps vanté comme socle de stabilité et de tolérance dans une région en proie à l’islamisation, en a été écornée. L’appel à la décapitation a été abondamment reprise par les médias internationaux. Une tâche, quelques jours après les célébrations des vingt ans de règne de Mohammed VI, qui avait été l’occasion pour la presse internationale de présenter le modèle religieux marocain sous son meilleur jour.

Un travail de sape du volontariat pour une simple histoire de sape. Quant aux jeunes bénévoles belges concernés, ils devraient regagner leur pays le week-end prochain après avoir pris part à d’éprouvants travaux. D’ici là, ils profitent de leurs quartiers libres et ont notamment déjeuné en compagnie de l’imam d’une mosquée d’Adar. L’occasion de poser, sourire aux lèvres en guise de clin d’œil à la polémique.