#Çavasaigner : La précarité menstruelle est aussi une problématique marocaine

Lancé sur les réseaux sociaux, le hashtag #Çavasaigner appelle les femmes à exposer leurs taches de sang mensuel ce samedi 15 juin, pour sensibiliser à la lutte contre la précarité menstruelle. Zoom sur la situation au Maroc.

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Instantané du documentaire “28 jours”, disponible sur Youtube. Crédit: Première image du documentaire "28 jours", réalisé par Angèle Marrey

Après le hashtag #Payetesrègles l’hiver dernier et #Monsangcoule en février, les internautes continuent la sensibilisation à la précarité menstruelle avec un nouveau hashtag, #Çavasaigner. Lancé par un collectif éponyme, il encourage quiconque « à poster ses plus belles photos ou dessins de taches, avec du vrai ou du faux sang, en solitaire ou en groupe ». Objectif : faire réagir, « pour montrer que les règles concernent tout le monde », et parler de celles dont les bas tachés ne les sont pas par choix mais par faute de moyens. L’approche pointe un phénomène vieux comme le monde, et pourtant récemment mis en exergue. Et si la méthode peut choquer, elle a aussi le mérite d’arrêter de tourner autour du pot. Il existerait plus de cinq mille euphémismes pour parler des règles à travers le monde — les Françaises voient leurs « Anglais débarquer », les Anglaises sont « sur le chiffon », les Coréennes « passent la frontière »… Et la problématique ne s’arrête pas aux frontières du Maroc.

Un problème sans âge

Pour nombre de femmes, partout, la précarité financière est intimement liée à la précarité menstruelle, et aux problèmes sanitaires qui en découlent. 500 millions de femmes dans le monde n’ont pas accès aux ressources adéquates pour gérer leurs règles selon l’Unicef, et en une vie, une femme dépenserait pour ses règles en moyenne 18 000 livres soient 220.000 dirhams selon une étude britannique réalisée auprès de 2.134 femmes. Entre autres conséquences, des jeunes filles manquent tout simplement l’école, faute de protections, et subissent des infections vaginales dues à une confection de protections artisanales sans connaissance sanitaire. En août 2018, le gouvernement écossais est devenu le premier au monde à distribuer gratuitement des produits hygiéniques à ses étudiantes. Au Maroc, le tabou est encore grand, et les protections hygiéniques peu accessibles.

Dans un pays au salaire moyen de 2.311 dirhams par mois et où dix millions de femmes étaient sans emploi en 2017 , soit 40% de la population en âge de travailler, un paquet de serviettes hygiénique coûte entre 10 et 50 dirhams. Selon une étude sur un échantillon de 1.600 femmes réalisée par le groupe Novatis qui a lancé la première serviette hygiénique cent pour cent marocaine, en 2015 seules 30% des femmes marocaines avaient accès à ce type d’hygiène menstruelle, quand en Algérie, ce taux est de 80 % et en Tunisie de 85 %.

Les zones rurales, premières touchées

Les plus défavorisées restent les femmes en zones rurales, comme l’explique Chama Khalil, présidente de l’Association Marocaine pour l’Entraide (AME) : « Nous avons réalisé que plus nous montions en niveau dans les classes d’écoles, plus la parité disparaissait au profit des garçons. Des profs et des parents nous ont expliqué que c’était notamment dû à l’absence de toilettes, ce qui arrive très souvent dans les écoles rurales marocaines ». Dans une pétition adressée au ministre des Finances en 2018 réclamant la baisse de la TVA sur les serviettes hygiéniques, Nour K. explique : « avoir ses règles est l’un des grands obstacles à l’éducation des filles au Maroc, souvent contraintes de rester chez elles en utilisant des chiffons prônes aux maladies. Les serviettes hygiéniques ne sont pas des produits de luxe. »

L’association AME, dans le cadre de distributions de cartables avec fournitures pour les écoles primaires rurales, prévoit cet été d’y construire des toilettes afin de répondre à l’ensemble des besoins qui leur sont liés. L’association Happih (Humanitarian Action for Protection and Preservation of Intimate Hygiene) co-fondée par la Franco-marocaine Rita Sekkat, réalise quant à elle des actions de sensibilisation et de distributions de protections hygiéniques en partenariat avec l’INSAF (Institut national de solidarité avec les femmes en détresse). En 2017, l’association composée de cinq membres a procédé à une initiative pilote dans le sud de Marrakech, à Imintanoute, auprès de 125 jeunes filles. 

Elle devrait revenir au Maroc en décembre 2019 et en mai 2020 pour renouveler l’expérience, afin de briser le tabou dans les écoles et prévenir des risques sanitaires avec l’aide de médecins. « Nous souhaitons aboutir à une campagne nationale de lutte conte la précarité menstruelle et contre le tabou des menstruations au Maroc, notamment avec le lancement d’un hashtag », explique Rita Sekkat. « Tout cela s’inscrit bien dans une volonté de lutter contre les inégalités femmes hommes, en s’attaquant à l’une des origines du problème ».