Elle était surnommée la plus belle femme au monde, Hedy Lamarr était l’actrice la plus reconnue, adulée et jalousée du Hollywood des années 30. Le public l’a découverte dans le fameux Algiers où elle jouait le rôle de Gaby puis, dix ans après, elle entre dans l’histoire du cinéma en jouant l’héroïne de Samson et Dalila, le chef-d’œuvre aux deux Oscars de Cecil DeMille. Un film qui lui a valu une étoile au fameux Hollywood Walk of Fame. Mais si je vous parle aujourd’hui de Hedy Lamarr, ce n’est pas pour sa carrière d’actrice. De son vrai nom Hedy Keisler, la Dalila à la beauté troublante était aussi une scientifique hors pair. Elle a breveté en 1948 une technologie de communication, appelée FHSS, qui va longtemps être utilisée par l’armée américaine pour ensuite changer le monde. L’invention de Lamarr a donné naissance, entre autres, au GPS, au Bluetooth en passant par le réseau GSM et enfin la technologie chère à nos cœurs… Le WiFi. Rien que ça.
Cette histoire, qui peut sembler incroyable, est en fait loin d’être unique. Si le monde de la technologie et de l’informatique est aujourd’hui dominé par les hommes, cela n’a pas toujours été le cas.
Le premier programme informatique a été écrit, il y a plus d’un siècle par une femme, Ada Byron, dont le langage Ada porte le nom. Le premier compilateur machine a été inventé par Grace Hopper, qui était également à l’origine du Cobol. Et c’est Sandy Lerner qui a cofondé Cisco, le géant des réseaux sans lequel Internet n’aurait peut-être pas existé. Mais celle qui reste la femme la plus marquante dans le domaine était la directrice du laboratoire des technologies informatiques du MIT dans les années 60, Margaret Hamilton. Elle a programmé en 1969 le système embarqué ayant permis à la navette spatiale américaine de se poser sur la Lune. Autrement dit : c’est grâce à une femme que l’Homme a marché sur la Lune.
Depuis la Deuxième Guerre mondiale et pendant des décennies, les femmes étaient bien plus présentes dans le monde de l’informatique qu’aujourd’hui et la croissance des diplômées dans la filière progressait plus que celle des hommes. Mais cette tendance s’arrêtera mystérieusement à la fin des années 80 pour ensuite s’inverser : tous les ans depuis 1984 de moins en moins de femmes rejoignent l’informatique. Nous sommes passés de plus de 40 % de femmes dans le secteur à moins de 20 % aujourd’hui, d’après la dernière étude du National Science Foundation. Et plus curieux encore, la part des femmes dans les autres filières scientifiques est restée sur une tendance haussière, seule l’informatique fait exception.
Des chercheurs pensent que c’est la faute de l’ordinateur personnel. Sa commercialisation a démarré en 84, exactement à la même période où les femmes ont commencé à bouder l’informatique. Le PC d’IBM et le Machintosh d’Apple ont connu un succès phénoménal supporté par des campagnes marketing gigantesques, du Super Bowl aux radios locales, l’ordinateur devient un phénomène de société. Mais toutes ces campagnes publicitaires avaient le même problème, elles visaient exclusivement les garçons. L’ordinateur, considéré à l’époque plus comme un jeu qu’un outil de travail, devient quelque chose que les parents achètent pour leurs fils pendant que les filles avaient, elles, droit à la Barbie et aux robes de princesse. Merci Disney.
Et le fait de confronter les garçons dès leur jeune âge à l’informatique va les avantager plus tard à l’université. La même étude a révélé que si de moins en moins de filles rejoignaient les filières informatiques, c’est parce que tout simplement, elles n’y réussissaient pas autant que les garçons. Ces derniers venaient aux premiers cours avec déjà des années d’expérience de l’outil informatique, un outil avec lequel ils ont grandi contrairement aux filles. Et qui dit moins de filles dans l’IT à l’école, dit moins de filles diplômées dans le domaine et donc par la suite moins de femmes dans le secteur de l’informatique et encore moins dans les postes de décision. Ce qui a commencé par une simple publicité d’un produit de grande consommation a fini par priver tout un secteur de celles qui ont participé à le créer. Un secteur qui vit aujourd’hui une vraie crise de pouvoir, de manque d’humanité et de capitalisme prédateur. Un secteur qui a grandement besoin de plus de sensibilité, d’humanisme et d’intelligence émotionnelle. Bref, un secteur qui a besoin de ses femmes.
Et si Hedy Lamarr a intégré le Walk of Fame par sa beauté, 60 ans plus tard, elle a aussi fini par intégrer en 2014 le prestigieux Inventors Wall of Fame, qui célèbre les scientifiques ayant contribué à l’avancement de l’humanité. C’était une femme exceptionnelle, mais qui n’était pas une exception. Et nous devons faire en sorte que cela redevienne le cas. Bref. Offrons à nos petites filles plus d’ordinateurs et moins de Barbies princesses… à la limite, la Barbie ingénieure. Twitter @AmineAzariz