La chasse aux sorcières de Gaïd Salah contre les oligarques

Issad Rebrab, première fortune algérienne, ainsi qu'une fratrie de riches industriels ont été placés en détention à Alger, dans le cadre d'une enquête “anticorruption”. Derrière ce vaste coup de filet, l'ombre du général Ahmed Gaïd Salah.

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Le général Ahmed Gaid Salah en mai 2014 à Alger. Crédit: Farouk Batiche / AFP

C’est une traque aux oligarques qui est menée en Algérie. Les 20 et 21 avril, la gendarmerie algérienne a procédé à l’arrestation de cinq milliardaires, qui ont été présentés devant le parquet d’Alger, dans le cadre d’une information judiciaire concernant le “non-respect des engagements contenus dans des contrats conclus avec l’État, trafic d’influence pour obtenir d’indus avantages et détournements de foncier”. Tous ont la particularité d’être des proches de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, qui a démissionné le 2 avril.

Chasse aux oligarques

Depuis le début de la semaine, les images de ces coups de filet tournent en boucle sur les chaînes d’État. Parmi les hommes arrêtés, un retient particulièrement l’attention : Issad Rebrab. Cet homme d’affaires de 74 ans est considéré comme l’homme le plus riche d’Algérie. Selon Forbes, sa fortune, estimée à 3,4 milliards d’euros, est la sixième d’Afrique.

D’après la télévision nationale et l’agence officielle APS, cet industriel est “soupçonné de fausse déclaration concernant le mouvement de capitaux de et vers l’étranger, surfacturation, importation de matériel usagé en dépit de l’octroi d’avantages bancaires, fiscaux et douaniers (destinés au matériel neuf)”.

À la tête du groupe Cevital, qui emploie quelque 18.000 personnes dans le secteur agroalimentaire et métallurgique, il aurait souhaité installer une nouvelle unité destinée à filtrer les eaux, sans recevoir pour autant les autorisations administratives nécessaires. Appelé Evcon, ce projet d’investissement mis au point par son groupe susciterait la défiance des autorités bureaucrates et reste à l’heure actuelle bloqué. Depuis plusieurs années, l’industriel a accentué sa notoriété en prenant publiquement position contre plusieurs membres du gouvernement, les accusant d’organiser le “sabotage économique” du pays.

Rien pour l’heure ne permet de dire si son arrestation est liée à ce projet mené par l’une de ses 26 filiales, établie en Allemagne, ou si elle a trait à d’autres affaires. Elle a en tout cas suscité une levée de boucliers chez “certains hommes politiques, notamment issus de Kabylie, région où il a effectué de nombreux investissements”, explique l’AFP. Interrogé par l’agence française, Karim Tabbou, leader de l’Union démocratique et sociale (UDS), estime que “ce sont des règlements de comptes (… ). La justice doit obéir aux lois et non aux ordres”.

Derrière cette arrestation symbolique, d’autres ont suivi dans la foulée. Notamment les quatre frères de la puissante famille Kouninef, propriétaires du groupe spécialisé dans le génie civil, KouGC. Arrêtés le lundi 22 avril, ils ont été entendus dans la soirée du 23 par le procureur de la République pour “non-respect des engagements contractuels dans la réalisation de projets publics, trafic d’influence avec des fonctionnaires publics pour l’obtention de privilèges et détournement de [biens] fonciers et de concessions”. À la tête d’une entreprise fondée en 1971 par leur père Ahmed, ils ont vu leur entreprise prendre une autre dimension à l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika en avril 1999. Ils ont été placés en détention provisoire ce jour.

À qui reprendra le mieux la contestation populaire

Purge politique ou opération main propre ? Derrière ces arrestations d’envergures, difficile de ne pas voir la main du désormais tout-puissant chef des armées, le général Gaïd Salah. Le 2 avril déjà, un communiqué avait fait part de cette chasse aux sorcières menées contre le clan Bouteflika. “Je ne saurai me taire aujourd’hui sur les complots et les conspirations abjectes, fomentés par une bande qui a fait de la fraude, la malversation et la duplicité sa vocation”, déclarait-il. Principalement visés : les oligarques qui, pour la plupart, ont vu leur fortune se démultiplier suite à des accointances avec la famille et les proches de l’ancien président.

Rebrab est un justiciable comme les autres, explique à l’AFP Samir Bouakouir, ancien porte-parole du Front des forces socialistes. S’il est coupable de faits délictueux, il en répondra devant une justice indépendante, celle d’un Etat de droit à construire, et non devant une justice aux ordres, instrumentalisée par un Gaïd Salah loin d’être au-dessus de tout soupçon, pour régler ses comptes avec ses adversaires dont le supposé parrain de Rebrab, Mohamed Médiène, dit ‘Toufik’”.

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Beaucoup accusent Gaïd Salah d’écarter toute possibilité du clan Bouteflika d’accéder aux prochaines présidentielles prévues le 4 juillet, afin de briguer le poste. Quitte à puiser dans les mêmes éléments de langage usés par la rue algérienne, depuis février. “(Gaïd Salah) s’est interrogé sur les moyens qui ont permis à une poignée de personnes d’amasser des richesses immenses par des voies illégales et dans un court laps de temps, en toute impunité, profitant de leur accointance avec certains centres de décision douteux, et qui tentent ces derniers jours de faire fuir ces capitaux volés et s’enfuir vers l’étranger”, affirmait un communiqué du ministère de la Défense du 2 avril.

Un communiqué qui visait expressément Ali Haddad, autre oligarque, arrêté de façon spectaculaire dans la nuit du 30 au 31 mars. L’ex-patron des patrons algérien a été retenu par les douaniers à la frontière tunisienne alors qu’il aurait tenté de sortir du pays. En sa possession, une importante somme d’argent : 5.000 euros, 100 dollars et 410.000 dinars algériens (plus de 300.000 dirhams).

Décrié pour son soutien sans faille à Abdelaziz Bouteflika, Ali Haddad avait démissionné de la présidence du patronat algérien le 28 mars dernier. Dirigeant du premier groupe privé algérien de travaux publics, ETRHB Haddad, il possédait également, en plus de deux journaux et deux chaînes de télévision, le club de football de l’USM Alger. Il est classé par Forbes comme l’un des cinq hommes les plus riches d’Algérie et dirigeait, depuis 2014, le Forum des chefs d’entreprises.

L’organisation avait fortement appuyé les appels en faveur d’un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Au lendemain de son arrestation, la justice avait annoncé l’ouverture d’enquêtes sur des faits de corruption et de transferts illicites de capitaux, interdisant également à un certain nombre de personnes, patrons ou politiques proches de Bouteflika, de quitter le territoire.