Le Boualem est tombé cette semaine par hasard sur une vidéo mettant en scène un grand classique de la politique marocaine. La scène se déroule dans la rue, de nuit, et elle respecte en tout point les standards de notre production nationale telle qu’elle se déroule sous nos yeux depuis des années. On y voit, d’un côté, des manifestants armés de téléphones et de quelques pancartes exposant leurs doléances, et de l’autre, nos forces de l’autorité et leurs canons à eau, aspergeant avec enthousiasme tout ce beau monde pour mettre un terme à cette affaire. Notre héros a cherché à en savoir plus, et il est tombé sur cet autre grand classique de la politique marocaine : l’article qui explique avec aplomb que ces gens sont “manipulés” pour servir un “agenda”.
Tout ceci est d’un classicisme implacable, c’est tellement prévisible que ça devient déprimant. Nous avons donc une sorte de scénario officiel, que nous allons décrire ci-après, mesdames et messieurs. A intervalles réguliers, chez nous, des gens envahissent la rue pour signifier leur mécontentement. Ils sont en général pacifiques, et il arrive qu’ils aient raison. Il peut s’agir de chômeurs, de citadins, de ruraux, de professeurs, de médecins ou de simples militants. Hamdoullah, personne n’est vraiment laissé de côté dans cette histoire. L’objet de leur courroux varie: ils réclament en général du respect, du travail, de l’argent, de la justice sociale… Bref, des choses compliquées à fournir sur le champ.
Ils obtiennent donc plus fréquemment des coups de matraque ou des jets de canon à eau, assortis de quelques interpellations et d’une accusation de traîtrise à la nation en prime. S’ils insistent un peu, on voudra bien couper la tête d’un responsable pour leur faire plaisir ou récupérer quelques meneurs en leur proposant un poste fantôme, mais ce n’est pas forcément nécessaire. Et si l’agitation perdure, on se fendra d’une malhama ou deux pour booster le moral de la nation, on multipliera les drapeaux dans les rues, et merci pour votre attention.
Puis, les manifestants comprennent qu’il ne leur arrivera rien de bien brillant et — comme l’héroïsme est un peu passé de mode chez nous — ils finissent par rentrer chez eux sans plus de simagrées. Voilà comment les choses fonctionnent. On peut, certes, ironiser sur le côté un peu beldi d’une telle gestion, mais il se trouve qu’elle fonctionne très bien depuis des siècles, et sans connaître de modification majeure.
“Les amis, nous sommes collectivement déprimés, angoissés par ce qui nous attend, incapables de se projeter dans l’avenir”
Il faudrait avoir une certaine arrogance pour se permettre de critiquer ce qui fait quasiment partie de notre patrimoine national, et qui a garanti cette stabilité légendaire que le monde nous envie. Mais cette stabilité a un prix: la dépression. Avec ses deux compagnons de route: la morosité et la résignation. Car oui, les amis, nous sommes collectivement déprimés, angoissés par ce qui nous attend, incapables de se projeter dans l’avenir et plus que perplexes sur notre capacité à atteindre enfin les lumières du progrès. C’est un sentiment qui est abondamment développé dans les chants des ultras, dans les petits et les grands taxis, mais aussi dans les salons des businessmen et les alcôves de la haute administration.
Tout le monde, avec ses propres mots, répète la même chose : nous ne savons pas très bien où nous allons. Vous pouvez contester ce point, bien sûr, et même traiter le Boualem de nihiliste si vous le voulez, l’accuser de noircir le tableau et de semer les germes du doute par mauvais esprit. Mais si vous êtes honnêtes avec vous-mêmes, vous admettrez que l’ambiance dans laquelle nous baignons est pesante. La fin de cette page est un appel. Zakaria Boualem s’en remet à vous : démontrez-lui qu’il a tort, injectez-lui de l’enthousiasme, bombardez-le d’espoir et de confiance, il en a bien besoin le pauvre. C’est tout pour la semaine, et merci.