En marge de la visite royale de Felipe VI et de son épouse Letizia, Hossein Bouzineb a reçu des mains du directeur de l’Académie royale espagnole (RAE), son attestation de membre correspondant dans la prestigieuse institution qui observe les règles et la définition même de la langue espagnole. Une consécration pour ce professeur, historien-chercheur, linguiste et traducteur qui a dédié une vie entière à l’étude de la langue de Cervantes.
Hossain Bouzineb, nombrado miembro correspondiente en el Pleno del pasado jueves, recibe su credenciales como académico durante el viaje de Estado de SS. MM. los reyes a Marruecos. https://t.co/dCGn3uk08I pic.twitter.com/loex14oIVO
— RAE (@RAEinforma) February 14, 2019
Hossein Bouzineb est le premier Marocain et arabe à rejoindre les rangs des académiciens. “C’est un honneur qu’un Marocain soit élu correspondant à la RAE, et une reconnaissance de la recherche marocaine”, déclarera l’intéressé, à l’agence EFE. L’académie avait déjà approuvé sa nomination le 7 février et lui a accordé membre correspondant qui distingue des intellectuels reconnues pour leurs recherches ayant trait à la langue espagnole.
Également traducteur officiel en espagnol auprès du cabinet royal marocain, l’homme a reçu la distinction, ce jeudi 14 février, lors d’une rencontre du couple souverain espagnol avec des intellectuels, artistes et écrivains marocains “qu’on pourrait appeler hispanistes”, expliquait Josep Borell quelques heures plus tôt. Un lien du savoir et de l’héritage culturel commun entre les deux pays, comme en témoigne Hossein Bouzineb profondément ancré par cette fibre.
L’espagnol pour éclairer sur le Maroc
C’est qu’Hossain Bouzineb, également professeur universitaire à la faculté de lettres et des sciences humaines de Rabat depuis 1980, a consacré sa vie à étudier l’Espagne, sa langue et ses liens profonds tissés avec le Maroc. “L’histoire du Maroc est écrite en grande partie en langue espagnole”, a-t-il dit. Avant de préciser ce fait est bien connu des historiens et que les fonds d’archives espagnols regorgent de documents sur l’histoire du Maroc datant d’avant le début du XVe siècle, en particulier à l’époque saadienne (1554 – 1636). “Ces documents sont indispensables pour les historiens marocains”, a poursuivi le professeur universitaire.
Né à Al-Hoceima en 1948 et faisant partie de cette “génération qui a étudié l’espagnol depuis le primaire” lorsque les cours y étaient dispensés en arabe et en espagnol, il s’imprègne de la culture et de la langue ibère à ce moment où la présence espagnole était établie au nord du pays. Une langue “de formation” durant la période coloniale, également présente après en tant que langue étrangère qui imprègne encore le dialecte.
Lui, en tout cas, milite pour le maintien de la langue de Cervantès au Maroc, là où le français et désormais l’anglais prédominent aux côtés de l’arabe. Une “nécessité”, expliquera-t-il à EFE, en évoquant une langue dont l’apprentissage ne relève pas “du caprice” mais de raisons plus “organiques”. « Différentes archives espagnoles contiennent beaucoup de documents liés à notre histoire », estime-t-il à EFE. Une documentation qui “fournit parfois des détails” qui n’apparaissent pas dans les archives marocaines et qui, dans l’ensemble, restent plus abondants que la documentation marocaine depuis plusieurs siècles.
De la langue romane à l’arabe
Cette recherche marquera son parcours. À l’adolescence, il rallie Tétouan, probablement la ville la plus espagnole du Maroc, pour y terminer ses études secondaires. Diplômé en philologie espagnole – l’étude critique d’une langue par des textes anciens – à l’Université de Rabat et docteur de l’Université autonome de Madrid par la suite, il se spécialise en aljamiado, ce procédé qui consiste à retranscrire en arabe des oeuvres en langue romane des textes ibériques datant de l’époque Al-Andalus.
Depuis, il a publié un grand nombre d’articles et d’oeuvres dans des revues françaises, espagnoles et marocaines. Parmi elles, figurent “Recopilacio n de refranes andalusi es de Alonso del Castillo” (Université de Cordoue, 1994), “La Alcazaba del Buregreg: hornacheros, andaluces y medio siglo de designios espan oles frustrados” (Editions ministère de la culture, 2006). En 1987, dans la revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, il publie “Culture et identité morisques”, ces musulmans espagnols convertis par force au catholicisme lors de la Reconquista. Une culture qui “devait à la fois s’occuper de son monde intérieur pour satisfaire les besoins et les demandes de ses adeptes, et éviter le danger que supposait à la tendance de nombreux morisques à sentir l’indifférence due au découragement et à la diminution de la ferveur du sentiment islamique”
« De nombreux aspects de la langue espagnole sont difficiles à clarifier sans la transcendance (qu’ils ont eue) de l’arabe et du berbère« , expliquait l’actuel membre du comité de rédaction de la revue “Histoire arabe” et du Comité Averroès. Avec cette intégration à l’Académie espagnole, il pourra désormais de servir de passerelles communes entre ses deux langues, liens indéniables de deux mondes continuellement en contact.