Le prince hériter d’Arabie Saoudite, Mohamed Ben Salmane, n’est pas le personnage complexe qu’une presse occidentale complaisante veut bien nous présenter. Habitué à ce que ses alliés lui mangent dans la main, MBS, dit “le féroce”, n’a de doctrine que son propre narcissisme. Perçu un temps comme le fer de lance d’une monarchie saoudienne “new age”, on le crut déterminé à dépoussiérer l’ADN d’un pays verrouillé sur le plan sociétal, promoteur d’un wahhabisme qui aura inondé le monde de son radicalisme mortifère. MBS se promettait de tout changer.
Au début, bien que ses méthodes gênèrent nombre de “démocrates” aux entournures, on fit la sourde oreille. Sa prise d’otage du Premier ministre libanais, sa mise en quarantaine de l’élite économique de Riyad au Ritz-Carlton, sa guerre au Yémen, firent des vagues somme toute modestes. Jusqu’à l’assassinat par nervis interposés du journaliste Jamal Kashoggi à Istanbul, le monde était conciliant envers MBS.
Mais les choses changent et la communauté internationale porte désormais un regard méfiant sur cet homme aux méthodes douteuses. Qu’à cela ne tienne ! Et bien que tous les faisceaux d’indices pointent vers une culpabilité, au moins indirecte, de MBS dans la liquidation de Kashoggi, Donald Trump n’a jamais cessé de soutenir son poulain, synonyme de pétrole et d’achats d’armes à profusion. Nimbé de l’immunité américaine, MBS se croit encore tout permis, allant même jusqu’à proposer un plan de paix israélo-palestinien en comité restreint, sans daigner consulter le roi Mohammed VI, pourtant président du comité Al Qods. Pis, il prend la mouche lorsque le Maroc, membre premier de la coalition arabe au Yémen, fait “évoluer son engagement” dans ce conflit.
“Or, il faut le noter avec un certain étonnement, le Maroc ne s’est pas démonté devant les récentes intimidations saoudiennes”
Selon le logiciel de MBS, un Maroc qui ferait autre chose que du suivisme béat est un Maroc qu’il faut vite mettre au pas. Le prince héritier ne peut concevoir qu’un pays auquel on accorde des dons et des investissements ne soit autre chose qu’un béni-oui-oui. Or, il faut le noter avec un certain étonnement, le Maroc ne s’est pas démonté devant les récentes intimidations saoudiennes. Bien que l’enjeu financier soit décisif, les dons du Conseil de coopération du Golfe s’élevant à 2 milliards de dirhams en 2019, le Maroc a maintenu sa neutralité vis-à-vis du Qatar.
En outre, la volonté (tardive) du royaume de revoir l’engagement de ses troupes au Yémen, théâtre d’une guerre d’égos qui aura engendré une des plus tragiques catastrophes humanitaires de notre temps, démontre que l’argent n’est pas l’alpha et l’oméga d’une diplomatie qui se respecte. Par realpolitik, opportunisme, ou toute autre raison occulte, le Maroc ne s’est pas renié pour flatter l’égo de la statue du commandeur saoudien. Même la récente séquence de “rappel puis de maintien” de l’ambassadeur marocain en Arabie Saoudite, à la suite d’un documentaire pro-Polisaro diffusé sur la chaîne Al Arabiya, a été gérée avec un certain doigté.
Il est, à ce titre, intéressant d’assister à l’évolution de la diplomatie marocaine. Sur le dossier du Sahara comme sur l’accord agricole Maroc-UE et les accords de pêche, mais également sur la gestion des flux migratoires dans le détroit, et plus récemment autour de la crise institutionnelle au Venezuela, on sent poindre une souveraineté décisionnelle qui assume ses points de vue et ses valeurs, ce qui n’efface pas, du reste, les critiques qu’on peut exprimer à son encontre. Que cette nouvelle ligne diplomatique ait comme corolaire l’exclusion “passagère” du Maroc des circuits de financements saoudiens au moment où l’Etat, criblé de dettes, a plus que jamais besoin de ressources est, certes, un risque majeur. Mais ce risque a été pris et sans doute assumé. MBS s’en remettra !