Cinq conclusions à tirer du 32e sommet

Achevé lundi, le 32e sommet de l'Union africaine (UA) a été marqué par le passage de relai entre Paul Kagamé, et Abdel Fattah al-Sissi. Le Maroc, qui a réintégré l'institution en 2017, décroche une victoire sur le plan juridique, mais peut s'inquiéter de la future présidence de Cyril Ramaphosa.

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Passation de pouvoir entre le président Paul Kagame et Abdelfattah Al Sissi.

La passation de pouvoir était attendue depuis l’an dernier. Lors du 32e sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA), le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a officiellement succédé à son homologue rwandais Paul Kagame à la tête de l’organisation panafricaine. Après les réformes lancées par le Rwandais, son successeur compte axer son action sur la sécurité, le maintien de la paix et la reconstruction post-conflit.

Dans ce sens, la transition démocratique du voisin libyen pourrait être à l’honneur sans pour autant ignorer la refonte de l’UA entamée par Paul Kagame. « L’Égypte fera tous les efforts nécessaires pour la réforme structurelle et financière de l’UA », a déclaré le président Sissi lors de son discours d’intronisation.

Le sommet, qui a consacré l’année 2019 à la thématique des migrations et des réfugiés, a également été marqué par une évolution significative dans le dossier du Sahara. En effet ce sujet ne pourra plus être abordé qu’au niveau des chefs d’États de l’Union dans le cadre d’un mécanisme bien précis.

Le Maroc trouve son compte sur le Sahara

Un an après avoir intégré le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, la diplomatie marocaine a obtenu une victoire sur le plan juridique lors de ce 32e sommet. Allant dans le sens d’une décision prise par les chefs d’États et de gouvernements lors du sommet de Nouakchott, en juillet dernier, un avis juridique émis par le Conseil juridique de l’UA dispose que le Conseil paix et sécurité, que ce soit au niveau des représentants permanents ou des ministres, ne pourra plus « soulever, citer, ou se référer à la situation au Sahara occidental de quelque manière que ce soit ».

Ainsi toute mention du Sahara a été supprimée du rapport de cet organisme charnière de l’UA. Le Sahara est également absent de toute la littérature produite par l’organisation panafricaine lors de ce sommet. Une « première » pour le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita. Pour lui, il s’agit d’une « clarification juridique importante », mettant fin à tout débat sur « une interprétation ou un détournement de ses dispositions pour ressaisir le Conseil de paix et de sécurité de l’UA ». À noter que l’Algérie fait son grand retour au CPS, après avoir été élue membre à une écrasante majorité (48 pour, 4 abstentions).

Migration et agriculture, les priorités marocaines

Par ailleurs, le Royaume s’est montré déterminé à partager son expérience du Plan Maroc Vert avec le reste du continent. C’est ce qu’a affirmé Saad Eddine El Othmani, lors d’une réunion sur la transformation agricole, vantant ainsi les progrès significatifs du pays dans sa gestion de l’eau, la valorisation de ces produits agricoles et l’usage des nouvelles technologies dans ce domaine.

Enfin, suite à un accord signé le 10 décembre 2018, en marge du Pacte de Marrakech, le Maroc abritera officiellement le siège de l’Observatoire africain des migrations. Sa mission : créer un « narratif africain sur la migration en s’appuyant sur des centres de recherche et des organes de l’Union africaine », comme l’a annoncé Nasser Bourita, en marge du sommet.

Dans la continuité du Pacte de Marrakech, adopté en nombre par les pays africains, l’Union africaine a fait de la question de la migration sa priorité sur la prochaine année. La question a d’ailleurs été au cœur des travaux de ce 32e sommet dont le thème était «L’année des réfugiés, des rapatriés et des personnes déplacées en Afrique : vers des solutions durables aux déplacements forcés».

2020, présidence Ramaphosa et troïka sur le Sahara

En 2020, Cyril Ramaphosa prendra la tête de la présidence tournante de l’instance panafricaine. Le chef de l’État sud-africain a aussi intégré la troïka présidentielle de l’Union africaine notamment chargée du suivi de la question du Sahara. Il remplace le président guinéen Alpha Condé, allié de Rabat. Il sera donc appelé à intervenir sur ce dossier aux côtés des autres membres de la troïka (le président en exercice de l’UA et son prédécesseur) et du président de la Commission de l’UA, Moussa Faki, dans le cadre d’un mécanisme dédié. La création de ce mécanisme avait été décidée lors du sommet mauritanien de juillet 2018. Sa mission : suivre le dossier du Sahara et aviser les Nations unies.

L’arrivée de Ramaphosa pourrait attiser la méfiance du Maroc, tant l’Afrique du Sud a alimenté, par le passé, des positions en faveur du Polisario. Une position d’ailleurs réitérée par le chef d’Etat sud-africain au début de ce mois, lors d’un meeting de son parti. Des signes de rapprochement entre le Maroc et ce pays avaient pourtant été esquissés avec la rencontre entre le roi Mohammed VI et le président Zuma, prédécesseur de Ramaphosa à la tête de la Nation arc-en-ciel, en marge du sommet UE-UA en novembre 2017. En janvier 2018, soit un mois avant l’accession à la présidence de Cyril Ramaphosa, la cheffe de la diplomatie sud-africaine, Maite Nkoana-Mashabane a rencontré son homologue Nasser Bourita à Rabat. Au mois d’août, la même année, le roi nommait Youssef Amrani, chargé de mission au cabinet royal, au poste d’ambassadeur en Afrique du Sud. Une première en douze ans.

Présidence Sissi, révolution du pharaon ou continuité assumée ?

Le sommet d’Addis Abeba a consacré l’Egyptien Abdel Fattah al-Sissi, comme nouveau président en exercice de l’UA pour une année. « Notre travail doit se poursuivre pour améliorer la paix et la sécurité en Afrique d’une manière holistique et durable », a-t-il déclaré dimanche 10 février. Le début d’année 2019 est décidément placé sous le signe de l’Afrique pour l’Égypte. Le pays héritait en effet quelques semaines plus tôt de l’organisation de la prochaine Coupe d’Afrique des nations 2019.

L’enjeu pour le maréchal sera donc de consacrer le tropisme africain d’un pays pointé du doigt pour en faire une diplomatie secondaire. « L’Égypte souhaite renforcer sa position sur le continent africain et ne pas être considérée comme un pays tourné uniquement vers le monde arabe », souligne Liesl Louw-Vaudran de l’Institut pour les études sur la sécurité, citée par l’AFP. Dans son discours, le raïs a mis l’accent sur trois points : le développement des infrastructures, accélérer l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC) et la création des emplois pour la jeunesse du continent.

Au-delà de la déclaration d’intention, la présidence Sissi entend poursuivre l’oeuvre de Kagamé dans les réformes financières et administratives de l’instance panafricaine. Elle est surtout attendue sur des questions fondamentales pour le continent. En premier lieu, la lutte antiterroriste ainsi que la question du voisin libyen. Dans sa déclaration finale à la presse, le président Sissi a expliqué que l’Afrique a décidé d’appuyer la Libye « dans ses efforts pour sortir de la guerre et du terrorisme ». Une conférence sur la Libye a d’ailleurs été appelée par l’assemblée de l’UA « dans le but de convoquer à Addis Abeba, en (juillet) 2019, une conférence internationale sur la réconciliation en Libye ».

Paul Kagamé, un bilan mitigé

Son année à la tête de la présidence tournante de l’Union africaine a été marquée par son activité. Le président rwandais a imposé à l’instance des réformes en vue de moderniser son appareil et lui redonner davantage de souveraineté politique. Il a ainsi réduit le nombre de commissaires de huit à six, en fusionnant le département paix et sécurité avec celui des affaires politiques et le commerce et l’industrie avec les affaires économiques.

Par ailleurs, son mandat a été marqué par l’accord de plus de la moitié des pays du continent de payer une taxe de 0,2% sur leurs importations extra-africaines afin de réduire la dépendance du continent aux fonds étrangers. Un point qui va de pair avec le financement de l’UA. Un rapport préparé par l’équipe de Paul Kagame souligne que l’UA n’a pas les moyens de ses ambitions, son budget opérationnel de 800 millions de dollars étant financé à hauteur de 80% par des bailleurs de fonds occidentaux.

Néanmoins Paul Kagamé n’a pas réussi à suffisamment installer ces réformes. Des puissances continentales comme l’Égypte et l’Afrique du Sud s’étaient notamment opposés à la proposition de charger le président de la Commission de l’UA de nommer le vice-président et les autres commissaires. La majorité des États avaient rejeté ce point, interprété comme une perte de leurs prérogatives face à l’exécutif panafricain.

Enfin, la question de la République démocratique du Congo (RDC) restera comme un cinglant désaveu de la présidence Kagamé. L’UA avait contesté l’élection Félix Tshisekedi à la tête de cet Etat. Kagamé avait d’ailleurs dénoncé un scrutin présidentiel entaché de « doutes sérieux », avant de demander le recomptage des voix. Finalement les résultats avaient été validés par la Cour constitutionnelle congolaise.