Le discours du 9 mars 2011 et le vote massif en faveur de la loi fondamentale avaient, en leur temps, soulevé la ferveur populaire. Sans être le concentré d’une démocratie chimiquement pure, la nouvelle Constitution proposait tout de même un contenu honnête, solide, mettant l’emphase sur une indéniable séparation des pouvoirs. Eût-il été catalysé par les bonnes lois organiques, ce texte aurait pu tracer un chemin concret vers une vraie citoyenneté.
Mais le temps a passé et les attentes des votants au référendum se sont peu à peu effilochées, jusqu’à se transmuer en indifférence. De Abdelilah Benkirane, même les plus progressistes attendaient une négociation sérieuse avec l’Etat profond. Il s’agissait moins pour lui de revitaliser l’économie que de faire bourgeonner les germes de la démocratie, d’installer un cadre institutionnel sain qui lui survivrait, d’être intraitable sur la reddition des comptes, la liberté d’expression et d’association, d’améliorer le statut des femmes, d’édifier un véritable Etat de droit, d’œuvrer sérieusement à faire de la régionalisation une réalité palpable. Or, il aura passé cinq ans à triturer les budgets au scalpel pour stabiliser les équilibres macroéconomiques.
Alors oui, les déficits sont meilleurs, mais ceux-ci ont été rendus possibles moyennant le maintien des inégalités. Benkirane a mené une politique orthodoxe, austère, là où il aurait fallu faire de la relance pour réanimer une économie dont la croissance moyenne n’a plus rien à voir avec le boom qu’a connu le Maroc dans les années 2000. Ses récents plaidoyers pro bono distillés la larme à l’œil, histoire de réhabiliter son mandat, sonnent creux. Au fond, il n’aura que moyennement servi une Constitution trop ambitieuse, sans doute trop lourde à porter pour lui.
Bref, le Maroc de 2019 ressemble à une dystopie, le substitut imparfait de ce qui aurait pu advenir si la Constitution avait été prise au sérieux, si des hommes d’Etat courageux avaient eu l’audace de prolonger ce frémissement dans les textes vers les actes. Certes, tout n’est pas noir et, comme le démontre la progression continue des IDE, les métiers mondiaux et les stratégies sectorielles bâtissent graduellement des écosystèmes industriels qui positionnent le pays sur d’intéressantes chaînes de valeur. Avec le temps et l’amélioration des taux d’intégration, de nombreux jeunes pourront prétendre à un emploi pérenne.
“Un pays entier est resté bloqué dans l’antichambre du rêve, une salle d’attente géante”
Mais en attendant, le ressenti du Marocain, de l’anonyme, demeure éloigné des satisfecit de l’élite. Le citoyen n’est ni plus épanoui ni plus prospère, simplement évolue-t-il, penaud, dans une époque du vide, une époque de “transition”, pour utiliser un euphémisme. Un pays entier est resté bloqué dans l’antichambre du rêve, une salle d’attente géante qui assombrit, pour le moment, l’espoir avivé par une belle Constitution devenue simple fétiche… Une salle d’attente nommée Maroc.