Au 8e anniversaire de sa Révolution de Jasmin, la Tunisie apparait coincée entre les attentes financières du FMI, une situation économique et sociale source d’agitations au sein des classes moyennes, et la pression politique des prochaines élections présidentielles de 2019. Porte-parole des revendications d’une partie de la population, l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) a fait appel la semaine dernière à des centaines de milliers de travailleurs dans la fonction publique pour descendre dans les rues et revendiquer des augmentations salariales.
Détérioration du pouvoir d’achat, inflation galopante, discrimination entre les régions, montée des impôts, fonctionnaires imposables de manière directe, effondrement du dinar et endettement croissant (70,3% du PIB): voici les ingrédients de la crise économique de la Tunisie post-révolution, et contre laquelle la grève du 17 janvier a lancé ses slogans. Mais la tâche n’est pas simple : « la Tunisie vit une crise et le gouvernement est entre deux feux. Il y a d’un côté, les demandes légitimes d’une partie de la population, et de l’autre, les institutions financières internationales qui ne cessent pas de donner des recommandations pour geler l’augmentation des salaires et limiter le recrutement. C’est un cercle vicieux duquel on doit sortir : la Tunisie est très endettée et à chaque prêt correspondent des recommandations qui ne cessent pas de soulever des mécontentements », nous explique Messaoud Romdhani, président du FTDES (Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux).
Mais d’après Yosra Frawes, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) qui s’est jointe aux revendications menées par l’UGTT en prenant part aux manifestations du 17 janvier ainsi que par la publication d’un télégramme de soutien, « les politiques des différents gouvernements qui se sont succédé après la révolution n’arrêtent pas de reconduire leurs choix économiques aux organisations monétaires internationales. D’autres exemples dans le monde ont montré les effets désastreux de ces institutions financières sur les pays sous-développés. Le but de la grève du 17 janvier était de contrecarrer ces politiques pour revenir à un pouvoir d’achat digne des Tunisiens grâce à l’augmentation des salaires ».
Pacifique et avec un taux de participation supérieur au 90%, comme le reporte l’agence de presse tunisienne TAP, la mobilisation syndicale a été un succès en termes de participation. Les manifestations, s’étalant sur plusieurs gouvernorats, ont provoqué également un grand nombre de perturbations collatérales notamment en matière de transports. La compagnie aérienne Tunisair a ainsi subi environ 2 millions de dinars de pertes. Les établissements scolaires sont également restés fermés.
Face à la réussite et à l’écho sans précédent de la grève, une série de négociations sont en cours depuis le 22 janvier entre le gouvernement et l’UGTT pour envisager une augmentation des salaires, faire revenir le calme et éviter de nouveaux soulèvements. L’organisation syndicale a en effet déjà annoncé deux autres mobilisations prévues pour le 20 et 21 février 2019.
De premiers échos, notamment au sein du gouvernement, font état de la réussite des négociations. Le ministre des Affaires sociales s’est dit confiant quant à la possibilité d’aboutir à des accords grâce à une volonté réelle de surmonter la crise actuelle. « Il y a des négociations, maintenant le problème se limite à la date d’augmentation des salaires. Je crois que cette fois-ci les négociations vont réussir à épargner une autre grève », pour Messaoud Romdhani.
Néanmoins, l’UGTT a réitéré son rejet de la proposition gouvernementale d’une augmentation salariale sous forme de privilège fiscal, rapporte l’agence TAP. La possibilité de nouvelles grèves est donc toujours d’actualité, même si pour beaucoup cette hypothèse n’est pas souhaitable. « Cette posture de bras de fer entre les syndicats et le gouvernement peut vraiment tuer la paix sociale en Tunisie. Si le problème n’est pas résolu d’ici le 20-21 janvier nous allons entrer dans un cercle vicieux d’actes de contestation et nous n’allons pas en finir. Il vaut mieux alors que le gouvernement réponde activement aux demandes réelles de l’UGTT », commente Yosra Frawes. De même, le président du Conseil national d’Ettakatol (Forum démocratique pour le travail et les libertés), Ilyès Fakhfakh, s’est dit préoccupé par la dégradation des relations entre l’exécutif et les syndicats. Lequel des deux fera un pas vers l’autre pour aboutir à une solution ?