L’année 2018 est en passe de s’achever, et le bilan des catastrophes naturelles donne le vertige. Après Irma, Maria et Harvey, l’ouragan Florence a laissé un paysage dévastateur dans les Caraïbes. Des températures extrêmes dans l’hémisphère Nord ont provoqué des incendies dévastateurs en l’Europe et aux États-Unis. Le Maroc n’y échappe pas : en septembre, des rues entières de Casablanca se sont transformés en fleuves après des pluies torrentielles.
Les pires conséquences du changement climatique sont encore à venir. Un défi énorme pour les nations riches, qui, pour les pays en développement, relève de la tâche de Sisyphe. Comment réunir assez de financements pour faire face aux catastrophes naturelles tout en essayant de sortir des millions de personnes de la pauvreté ?
L’exemple de l’Afrique est éloquent. Périodes de sécheresse prolongées, inondations à répétition, déclin des rendements agricoles, accès à l’eau de plus en plus limité : le réchauffement climatique fait des ravages sur le continent, aggravant les risques d’insécurité alimentaire. Les populations urbaines sont également dans l’œil du cyclone. En effet, 86 des 100 villes aux croissances les plus élevées se trouvent en Afrique, du fait des taux de natalité et de l’exode rural. Selon un rapport récent du cabinet de conseil en risques Verisk Maplecroft, au moins 79 d’entre elles sont confrontés à des « risques extrêmes » dus au changement climatique, parmi lesquelles 15 capitales africaines et nombre des principales métropoles commerciales du continent.
Les catastrophes naturelles ont tendance à aggraver les inégalités. Les infrastructures publiques sont incapables de répondre à la demande croissante, et les mécanismes d’intervention en cas de catastrophe sont inadéquats. Les 13,2 millions d’habitants de Kinshasa, par exemple, sont déjà régulièrement victimes d’inondations. La capitale de la République Démocratique du Congo devrait voir sa population doubler d’ici 2035.
Pour répondre à tous ces besoins, et protéger les populations des conséquences des catastrophes naturelles, les Etats doivent avoir plus de ressources. Certes, la collecte fiscale s’est améliorée en Afrique, passant de 15,66 % en 2010 à 18,33 % en 2015. Mais on reste très en dessous du niveau moyen des pays de l’OCDE, qui est de 25,1 %. Impossible, dans ces conditions, d’imaginer que les nations africaines puissent atteindre les objectifs de développement durable qu’elles se sont fixés.
D’autant que l’Afrique est également confrontée à d’importantes pertes de revenus en raison des flux financiers illicites. C’est un manque à gagner de 60,3 milliards de dollars par an, soit environ 4% du PIB entre 2003 et 2012 selon le rapport de la Banque africaine de développement sur les Perspectives économiques en Afrique, essentiellement du aux stratégies d’évasion fiscale des multinationales.
Dans le monde entier, les Etats baissent les niveaux de taxation des entreprises, au nom de la compétition mondiale pour attirer les investissements étrangers. Pourtant, les enquêtes montrent que l’investissement direct étranger est d’abord attiré par l’accès aux marchés, un cadre juridique et réglementaire prévisible, une main-d’œuvre qualifiée et des infrastructures développées. En revanche, ces exemptions ont un prix très élevé : moins de recettes fiscales, c’est moins de financements pour les services publics, les infrastructures, et pour faire face aux catastrophes naturelles.
Les seuls gagnants de cette course au moins disant fiscal sont les multinationales, qui en bout de compte ne payent presque pas d’impôts. Vito Tanzi, l’ancien chef de la Division de la politique fiscale du Fonds Monétaire International (FMI) qualifie de « termites fiscales » ces entreprises qui détruisent les fondations des systèmes fiscaux dans le monde entier. Dans son récent ouvrage, Termites of the State, il reconnaît qu’aucune « maison fiscale » n’est à l’abri de ces parasites mais il pointe que les pays en développement – en particulier ceux qui possèdent des ressources minérales, comme en Afrique – sont les plus vulnérables.
Les économies en développement dépendent en effet fortement des revenus de l’impôt sur les sociétés. Selon le FMI, les pertes de recettes dues à l’évasion fiscale dans les pays en développement sont 1,3 fois plus importantes, en pourcentage du PIB, que dans les économies riches.
Réformer le système fiscal est une lutte difficile qui implique de s’attaquer aux élites et de vaincre les résistances institutionnelles, tout en éliminant les niveaux inacceptables de pauvreté et en construisant des systèmes de santé et d’éducation de qualité pour tous.
Mais la riposte est en cours. Le débat mondial sur les stratégies d’évasion fiscale de multinationales sans scrupules commence à porter ses fruits. Les campagnes de la société civile sont à l’origine de la création d’un système de déclaration dans chaque pays des bénéfices et des impôts payés par les plus grandes multinationales, ainsi qu’à un échange d’informations entre les pays.
La Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (ICRICT), dont je fais partie, propose de changer les règles fiscales internationales dans une perspective d’intérêt public mondial plutôt qu’au bénéfice exclusif des entreprises.
Au cours de la dernière décennie, l’Afrique a fait des progrès dans le sens de la réalisation des objectifs de développement durable. Ce serait une tragédie de voir l’émergence des classes moyennes africaines compromise parce que les multinationales continuent à piller la richesse de leurs pays et refusent de s’acquitter de leurs impôts.