L'autisme, l'autre enjeu de l'éducation inclusive

Au Maroc, des milliers d’enfants autistes ne sont pas scolarisés, plus souvent placés dans des structures spécifiques. À l’initiative du Collectif autisme Maroc, un séminaire ouvre le débat sur le handicap dans les établissements scolaires, avec la volonté d’inclure ces élèves dans les salles de classe, à l’heure où est discuté au Parlement un projet de loi sur le système éducatif.

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Yassine Toumi / TelQuel

A l’initiative du Collectif autisme Maroc, en collaboration avec des chercheurs spécialisés et les ministères compétents, un séminaire sur « l’accès des personnes autistes au droit à l’éducation inclusive est la responsabilité de tous » s’est tenu le 10 novembre dernier à Rabat, visait à faire réfléchir les différents acteurs sur les mesures nécessaires à la scolarisation des élèves atteints de troubles du spectre de l’autisme (TSA). Objectif : finaliser un projet relatif au droit des personnes autistes à l’éducation inclusive.

« Ce séminaire s’inscrit dans le cadre de dialogue des parties prenantes au sujet du modèle inclusif de la scolarisation des enfants autistes », explique, à TelQuel, Soumia Amrani, présidente du Collectif autisme Maroc. Pour cette mère d’une jeune fille autiste, « notre problème, ce n’est plus l’acceptation car beaucoup d’autistes vont à l’école désormais. C’est plutôt de se demander comment faire pour réussir l’enjeu de l’individualisation des apprentissages dans le cadre de l’éducation inclusive. ». 

Une question qui trouve un écho particulier dans le contexte actuel, alors que se discute actuellement, au Parlement, un projet de loi-cadre relatif au système d’éducation sur la vision 2015-2030. « Cette réunion ne vise pas seulement à parler du choix du modèle inclusif, détaille Soumia Amrani. Il en va de sa pertinence et des outils concrets qui devront être mis en application afin de construire une école ouverte à tous ».

La sensibilisation, fer de lance de l’action

Si le regard de la société sur le sujet évolue, l’école a encore de solides obstacles à lever sur le chemin de l’inclusion. Pour preuve : le recensement du programme Massar des élèves ne prend pas en compte le nombre d’enfants atteints de TSA. En absence de chiffres officiels, le tissu associatif se base sur les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui établit à une naissance sur 100 le nombre d’enfants touchés par les TSA. « Ce que la prévalence internationale ne déclare pas, c’est que le chiffre pourrait s’élever parfois à une naissance sur 60 voire 50 », explique Soumia Amrani. En l’absence d’étude au Maroc, les associations parlent de « 350 000 et 400 000 » enfants concernés. 

Se pose alors une question : comment une école devient-elle inclusive ? Pour Abra Oum El Kheir, enseignante-chercheuse et membre de l’équipe de recherche, il s’agit avant tout d’une prise en considération de l’enfant atteint de TSA. « L’enseignant doit pouvoir adapter son cours par des méthodes d’apprentissage et d’évaluations en se basant sur une évaluation des prérequis de l’élève », détaille-t-elle. Parmi eux, la mise en situation des élèves ainsi que la récurrence des échanges avec lui, pour donner les clés pour anticiper, et ainsi éviter les crises de paniques provoquées chez ces enfants par la peur de l’inconnu. « Il est nécessaire de partir de ce que l’enfant maîtrise et de le développer au fur et à mesure. Dans ce sens, travailler par projet avec l’élève est un bon levier pour sa compréhension », poursuit la chercheuse. 

Pour ce faire, lors de la réunion, trois guides à destination des directeurs d’établissements, des enseignants ainsi que des familles d’élèves autistes ont été finalisés. « Nous avons conçu ces guides sur la base des préoccupations des enseignants, directeurs d’écoles et des familles », raconte Soumia Amrani. Préparés par les équipes de recherche en collaboration avec le Collectif autisme Maroc et le ministère de l’Éducation, ils visent à éluder les problématiques rencontrées : « Ils ont fait l’objet de remarques pertinentes, notamment sur les questions méthodologiques et des problèmes techniques comme la question du temps supplémentaire des examens. Cela permet de faire avancer et de sensibiliser », poursuit la présidente du Collectif autisme Maroc. 

Adapter l’école aux enfants autistes et non l’inverse

Une première étape dont découle ensuite la question de la formation du corps enseignant. Pour Soumia Amrani, « il ne suffit pas de parler simplement de théorie, affirme-t-elle. Une bonne formation doit s’appuyer sur les techniques et approches validées scientifiquement, tout en disposant d’outils concrets et appliqués sur le terrain. Une personne formée à l’autisme doit avoir travaillé, au préalable, avec différents profils d’enfants, du bébé à l’adulte en passant par l’adolescent ». 

Du côté de ministère de l’Éducation nationale, on affirme que la méthode de l’inclusion est celle qui est retenue en matière de scolarisation des élèves autistes. Joint par TelQuel, une source, proche du dossier, explique que « l’approche inclusive peut faire économiser des moyens financiers et en ressources humaines ». « Une fois l’enfant inclus dans une classe avec ses pairs, le ministère n’aura qu’à investir dans la formation des intervenants. Si on investit dans la formation initiale et continue des enseignants, on aura fait un grand pas vers l’inclusion totale », détaille notre source, qui se dit satisfaite du travail mené avec le tissu associatif sur ces questions. 

Actuellement, le modèle marocain, à l’image de nombreux autres dans le monde, consiste en une scolarisation dans un milieu spécifique. À travers le Royaume, on compte quatre-vingt-dix-huit classes d’intégrations scolaires (CLIS), spécialisées pour les enfants autistes. Elles comptent généralement six élèves, qui disposent, chacun de leurs éducateurs. Quarante-deux de ces classes disposent d’un enseignant spécifique « pour les accompagner leur intégration au circuit ordinaire », indique notre source. Elle insiste que pour la première fois, la vision stratégique utilise le terme « d’inclusion et non d’intégration ». Une différence sémantique qui témoigne de la prise en compte de cette question. « Il y a, depuis 2016, des modules de formation spécifique dans les centres de formation des enseignants. Ceux-ci devront être révisés, avec l’aide du tissu associatif, pour coller au défi de l’inclusion ».

Suffisant ? Sabah Zemmama, présidente de l’Union nationale des associations œuvrant dans le domaine du handicap mental (UNAHM) y voit une réalité moins pimpante : « Il y a un travail qui est fait avec les politiques publiques, mais beaucoup ont une méconnaissance du sujet et pensent que s’occuper des personnes autistes coûte cher ». Des carences qui s’expliquent également sur le nombre d’auxiliaires d’éducations qui restent très « insuffisant par rapport à la demande ».

Marginalisation

S’ajoute à cela, un mal plus profond. La faute à une « méconnaissance » du sujet, un mot qui revient souvent dans la bouche des personnes interrogées. Mais aussi à des représentations discriminatoires plus anciennes : « Souvent, on voit la personne autiste, renfermée sur elle-même, asociale, sans compétences et ne disposant d’aucune chance d’évoluer dans la vie », explique Sabah Zemmama, qui suit le dossier sans en être partie prenante toutefois.

Au Maroc, la prise en charge de l’autisme a été longtemps marquée par des clivages profonds entre ceux qui voient ce trouble comme la manifestation d’un handicap et ceux qui mettent en avant l’aspect psychique. La présidente de l’UNAHM se défend d’y voir des déficients mentaux : « La déficience vient du retard de la prise en charge et du diagnostic ». Si maintenant, ces examens ont lieu maximum au plus tard après 18 mois, voire pendant la grossesse, seuls quelques médecins au Maroc sont en capacité de les réaliser.  « Il y a peu de pédopsychiatres qui ont les moyens de réaliser ce diagnostic, et cela impact forcément sur la prise en charge de ces enfants », poursuit Sabah Zemmama.

Même si l’éducation est obligatoire, la majorité des enfants autistes marocains souffrent d’une marginalisation dans le système scolaire, selon les personnes interrogées. Pire, certains se voient tout simplement refuser l’accès à l’école. « C’est à cause de la désinformation et des stéréotypes qui restent prégnants », explique l’équipe de chercheurs contactés. « C’est également l’objectif des guides que nous avons mis en place. On montre aux enseignants et à l’administration scolaire qu’ils sont en droit de demander des formations s’ils reçoivent un enfant autiste dans leurs classes, mais qu’ils sont également en tort, aux yeux de la loi, s’ils refusent des élèves ».

Un pas vers une société ouverte ?

Mère d’une fille autiste aujourd’hui âgée de 25 ans, Soumia Amrani résume la difficulté d’avoir vu sa fille exclue de l’école. « Il y a vingt ans, l’école était fermée à l’autisme. Les gens voyaient dans les autistes des personnes en marge. Il n’y avait ni le dispositif réglementaire permettant l’ouverture ni la culture pour favoriser leur intégration ». Après les « montagnes insurmontables d’obstacles »,  « une forme de dialogue et de confrontations dans le cadre légal » s’est progressivement mise en place pour faire valoir les droits des enfants autistes à l’éducation inclusive.

Depuis 2013, les élèves atteints de TSA peuvent passer le brevet des collèges et l’examen provincial régional. En 2017, le Collectif autisme Maroc a obtenu pour les élèves qu’ils puissent passer l’examen du baccalauréat avec la possibilité d’être accompagné par un auxiliaire, tout en ayant un tiers-temps aménagé et la possibilité de répondre par questions à choix multiples. Ces victoires ont aussi permis quelques réussites dans l’éducation supérieure, encore peu nombreuses. De quoi donner de l’espoir aux familles : « Nous mettons en avant, auprès des familles, des cas d’enfants qui ont réussi au sein de l’école publique et privée marocaine. Ces cas de réussite constituent des modèles qui inspirent tous les acteurs ce qui constitue une réelle motivation pour les parents et les incite à inscrire leurs enfants à l’école. Ce n’est plus une question tabou comme il y a dix ou quinze ans ».

Dans ce combat, se pose la question du changement de perception de la société. Trouver une place à l’école, c’est aussi trouver une place dans la vie de plus tard, en brisant l’image misérabiliste et les discriminations des camarades. « C’est quelque chose que l’on voit dans les petites villes et villages où il y a un fort esprit de communauté, explique Abra Oum El Kheir, enseignante-chercheuse. Avant d’ajouter : J’y ai vu des enfants autistes pris en charge par les autres élèves. » 

Un constat appuyé par Soumia Amrani : « Faire la promotion de ce modèle de l’inclusion à l’école, ce n’est pas que de l’académique, mais c’est aussi promouvoir un lieu de cosociabilisation, de construction de l’individu et de laboratoire de la société ». Avant de conclure sur l’importance de l’enjeu : « Un élève qui a évolué aux côtés de son camarade de classe autiste, et qui aura appris à le connaître, n’adoptera pas des attitudes discriminatoires. Sa vision de la différence et la diversité lui permettra d’évoluer et contribuer à la consolidation du caractère démocratique de la société. »