De Hassan II à Moulay Hassan, la passion de l’horlogerie en héritage

De tout temps, la passion horlogère des rois alaouites a fait l'objet de commentaires, de potins, mais aussi de scandales. De Hassan II à Mohammed VI, tour d'horizon des montres préférées des monarques marocains.

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Les montres de collection, une affaire de famille chez les Alaouites. Crédit: Montage TelQuel

1,2 million d’euros. C’est le prix auquel est estimée une montre Patek Phillipe Nautilus, sertie de diamants, arborée par le roi Mohammed VI à Dubaï et repérée par le compte Instagram Insane Luxury Life.

Un cliché qui a fait le tour des réseaux sociaux et des sites d’informations, et qui constitue une énième démonstration de la passion commune des membres de la dynastie alaouite pour l’horlogerie. Focus sur une passion transmise de père en fils.

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Passion Breguet

Qualifier Hassan II de passionné des montres Breguet serait un euphémisme. Montres-bracelets, pendulettes et goussets de la prestigieuse manufacture horlogère ornaient le poignet du défunt roi, trônaient sur son bureau et se retrouvaient entre les mains des proches du souverain.

La passion de Hassan II pour les garde-temps de la marque remonte au temps où la maison horlogère était la propriété des frères Chaumet entre 1970 et 1987. Certaines montres Breguet, uniques, étaient dédiées à son usage personnel, d’autres étaient destinées à être offertes. En juillet 1975, le souverain a ainsi commandé 55 chronographes Breguet Type XX pour les pilotes des Forces royales air (FRA). Considérées comme des pièces rares, ces montres se négocient aujourd’hui entre 13.000 et 15.000 euros (entre 142.000 et 164.000 dirhams) et apparaissent épisodiquement chez des horlogers étrangers.

La plus illustre Breguet offerte par Hassan II, et peut-être celle qui a causé le plus de controverse, est la montre à gousset offerte à l’ancien président français François Mitterrand en 1983. Payé 240.000  francs ( environ 788.000 dirhams actuellement), l’objet portait les initiales du président socialiste et était accompagné d’une chaine en or signée Chaumet. En 2015, le garde-temps a été revendu pour 16 250 euros (178 000 dirhams) par l’un des héritiers Mitterrand dans le non-respect de la loi. Considéré comme un « cadeau diplomatique », l’objet aurait « donc dû finir sa vie exposée aux côtés de tant d’autres objets à François Mitterand durant sa longue présidence », dénonçait le magazine Le Point en 2016, peu après sa mise en vente par son nouvel acquéreur pour la somme de… 256.000 euros (2,8 millions de dirhams).

Les frères Chaumet, fournisseurs du Palais

Fournisseurs attitrés des chefs d’Etat et des têtes couronnées, les frères Chaumet comptaient Hassan II parmi leurs clients les plus fidèles. Ceux qui ravitaillaient la cour royale en horlogerie et en joaillerie – la maison Chaumet a confectionné, entre autres, le sceau royal et la parure de mariage de Lalla Meryem –  étaient de toutes les grandes réceptions officielles organisées par le souverain, et marivaudaient assidûment lors des mondanités royales.

La montre Breguet offerte au vainqueur du tournoi Hassan II de golf organisé en 1971.Crédit: Drouot

En 1971, alors que Pierre Chaumet révélait aux invités d’une réception royale le prix destiné  au vainqueur du premier trophée Hassan II de golf, les balles ont sifflé, et les cadets d’Ahermoummou ont fait irruption au palais royal de Skhirat. Pierre Chaumet a survécu de peu. Le prix de l’édition 1971 du trophée Hassan II aussi : une Breguet Empire en or, cadran argent deux tons, qui a retrouvé preneur lors d’une vente aux enchères organisée en 2015.

Le putsch de Skhirat a, peut-être, affermi la relation de Hassan II à la fratrie, mais la banqueroute de la maison, survenue en 1987, semble avoir précipité l’amitié entre le monarque et les bijoutiers. Hassan II y a perdu 210 millions de francs de l’époque (près de 53 millions d’euros actuels) selon le Nouvel Obsmais cela n’a pas eu raison de sa passion pour les montres Breguet, puisqu’il a commandé d’autres garde-temps au cours des années 1990.

Pièces d’exception

L’une des montres les plus remarquables de Hassan II est issue des ateliers Breguet, du temps où la manufacture appartenait aux frères Chaumet. « Apparue » dans le catalogue d’une vente aux enchères de montres rares organisées par Christie’s, la montre provenait d’une collection italienne. Elle s’est rapidement singularisée du catalogue et a fait l’objet d’articles enthousiastes de la part de la presse spécialisée.

Livré au souverain en décembre 1985, le garde-temps comporte une complication assez inédite: un calendrier hégirien. Son boîtier octogonal en or gris, signé « JC » (Joseph Chaumet), affiche aussi la signature du légendaire sculpteur de boîtiers Jean-Pierre Hagmann. Son cadran en or argenté finement guilloché arbore les noms de Breguet et de Chaumet, apposées en symétrie sur la partie supérieure du cadran.

Le bracelet en or gris est signé Jean-Pierre Ecofey et – fait étonnant – Audemars Piguet. Après de laborieuses recherches, la maison de vente aux enchères Christie’s a conclu « qu’il n’y a aucune raison de croire que le bracelet n’est pas l’original de la montre. On peut supposer qu’il a été choisi par les frères Chaumet pour cette pièce d’horlogerie », rapporte le site Watchtime Middle East. Achetée à 500.000 francs français par Hassan II en 1985, soit 130.000 euros actuels, la montre a été adjugée à près de 78.000 euros en 2017.

D’autres Breguet, moins atypiques, se sont matérialisées dans les salons des maisons de vente aux enchères ces dernières années. En 2013, une montre squelette ronde en or 750 millièmes ayant appartenu à Hassan II s’est retrouvé dans un catalogue de la maison Piguet. Alors qu’elle était estimée entre 4.400 et 7.000 euros, le coup de marteau final l’a donnée à 5.700 euros.

 

Lors de la même vente aux enchères, une autre Breguet de provenance royale a été adjugée. Elle résume les goûts horlogers de Hassan II : sa préférence pour les montres de petit diamètre, les cadrans guillochés et épurés, et surtout, son inclination pour les signes distinctifs. Son cadran arbore en effet le monogramme de Hassan II, et sa boucle en or 750 millièmes est ornée de la couronne royale. La montre, réalisée en plusieurs exemplaires, était vraisemblablement destinée à être offerte à des proches du souverain.

En 2017, une autre montre squelette Breguet ayant appartenu à Hassan II a fait son apparition dans le catalogue d’une vente aux enchères de Christie’s, aux côtés d’une Patek Philippe quantième perpétuel qui fut en la possession du roi Farouk. Réalisée dans les années 1990, la Breguet en or à fond transparent permettait d’admirer le calibre (type de mouvement d’une montre) 347 gravé à la main. Elle était estimée par Christies entre 25.000 et 50.000 euros.

Mohammed VI: des goûts plus éclectiques

Mohammed VI ne semble pas avoir hérité de la passion de son père pour les garde-temps Breguet et Chaumet, mais possède tout de même quelques pièces emblématiques des deux maisons horlogères. En mars 2012, lorsqu’il a reçu l’ancien président du parlement européen Martin Schulz, Mohammed VI portait une Breguet Tourbillon au cadran or argenté, sur un bracelet en métal qui semble favorisé par le souverain dont la collection inclut plusieurs montres « officielles » munies de bracelets similaires. La montre portée par le souverain à cette occasion  est un modèle très proche de la Breguet Classique complications 3350.

En 2013 en Côte d’Ivoire, lors de sa visite au domicile de Georges Ouégnin, Mohammed VI a été aperçu avec une montre ressemblant fortement à la Dandy de Chaumet. Moulay El Hassan, lui, porte très souvent une Chaumet Elysée en or, cadran blanc et bracelet noir serti d’une chaînette.

Montres tank et plongeuses vintages

Durant ses activités officielles, Mohammed VI opte pour des montres plutôt sobres et discrètes. Alors que nous n’avons pas pu déterminer avec certitude le modèle de la montre qui orne le plus souvent son poignet lors de ses apparitions publiques, elle décline, tout autant que les autres montres habillées du souverain, une identité très classique.

Mohammed VI semble avoir une préférence assez marquée pour les montres Cartier. En juin 2018, lors de la parade en l’honneur du président nigérian Muhammadu Buhari, il arborait une Cartier Tank Solo, reconnaissable à son boîtier rectangulaire, ses chiffres romains décalés et son remontoir à cabochon. Un an plus tôt, en juin 2017, le souverain arbore une montre ressemblant à la Cartier Tank Basculante alors qu’il portait une autre Cartier, vraisemblablement une Tank américaine, lorsqu’il a décoré Pierre Bergé en décembre 2016.

En dehors des montres Cartier, Mohammed VI possède plusieurs autres montres rectangulaires: une Jaeger-LeCoultre Reverso en acier avec petites secondes, portée lors de sa tournée dans l’Oriental, en 2013, et une autre Jaeger-LeCoultre en or qu’il arborait à l’occasion de l’inauguration de la Maison de la presse à Tanger en avril 2014.

Mohammed VI portant une Jaeger-LeCoultre Reverso

S’il porte le plus souvent des montres habillées lors de ses activités officielles, Mohammed VI se permet quelques exceptions: on a ainsi aperçu à son poignet une montre de plongée vintage, probablement une Tudor ou une Rolex Submariner des années 50 – reconnaissables à leurs couronnes surdimensionnées – lorsqu’il a reçu le cheikh Jassem Bin Hamad Bin Khalifa Al Thani, représentant de l’émir du Qatar,  en 2012.

En juillet 2013, en présence du cheikh Khaleed Ben Khalifa Ben Abdelaziz Al Thani, Mohammed VI portait une Vacheron Constantin Historiques American 21. Le design très «années folles» de la montre est inspiré d’une commande passée par un client américain de la manufacture horlogère, dans les années 20: le boîtier est de forme coussin, les chiffres décalés, et la couronne positionnée à 1h.

La Vacheron Constantin de Mohammed VI

Des montres pour les apparitions privées

Durant ses déplacements privés, Mohammed VI semble laisser libre cours à ses goûts personnels. Le souverain s’affiche notamment avec des montres de plongée (Rolex Submariner ou Blancpain Fifty Fathoms), chronographes à cadran panda (Rolex Daytona ou Omega Speedmaster), ainsi que des montres plus excentriques et inclassables, comme une Richard Mille rectangulaire qu’il portait à l’occasion de son déplacement à Bahreïn, en avril 2016.

Il y a quelques jours à Dubaï, au restaurant Nusr-Et Steakhouse, Mohammed VI arborait un chronographe Breitling, alors que le célèbre boucher Salt Bae posait à ses côtés avec une Patek Philippe Nautilus Jumbo 3700/3.

La collection horlogère de Mohammed VI inclut également une Audemars Piguet Royal Oak Offshore richement sertie, et au moins une Rolex Submariner squelettisée et customisée chez le préparateur des montres parisien MAD. La montre, qui fait partie de la collection Royal Morocco, est frappée des armoiries du Royaume.

Deux Rolex Submariner de la collection Royal Morocco du préparateur de montres MAD

Patek, le favori de Mohammed VI 

Des montres Patek Philippe, Mohammed VI en possède plusieurs. Outre la Nautilus sertie de diamants avec laquelle il a été aperçu à Dubaï, Mohammed VI détient une Nautilus chronographe 5980/1A-014, ainsi qu’une Nautilus plus « basique », en acier, selon toute vraisemblance un modèle 3700/1A « Jumbo ». Ce modèle se différencie des nouvelles Nautilus par ses aiguilles plus fines, plus longues, ainsi que le logo Patek Philippe moins resserré que celui des nouveaux modèles – il dépasse légèrement 1h sur la 3700/1A, alors qu’il l’atteint à peine sur les nouvelles Nautilus.

La Nautilus 3700/1A « Jumbo » de Mohammed VI

Si nous ne connaissons jusqu’à présent ni les caractéristiques de la montre que Mohammed VI arborait à Dubaï ni sa provenance – cadeau d’un émir du Golfe, ou acquisition personnelle du souverain ? – ni s’il s’agit d’un modèle fait sur commande et présentant des particularités qui rehausseraient sa valeur, des modèles similaires (référence 5980/1400G-010) sont plutôt estimés entre 600.000 et 800.000 euros. Lors d’une vente aux enchères organisée par Christies en mai 2018, une Nautilus ressemblante a été adjugée à 620.000 euros.

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