L’assemblée générale ordinaire et élective du 22 mai de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) a porté Salaheddine Mezouar à sa tête, avec son colistier Fayçal Mekouar comme vice-président. Le binôme a recueilli près de 78 % des voix exprimées face à Hakim Marrakchi et sa colistière Assia Benhida. Malgré un score de république bananière, l’intégralité des patrons interrogés — qu’ils aient voté pour l’un ou l’autre des candidats — et les candidats eux-mêmes saluent « l’expression d’un formidable exercice démocratique« .
Et pour cause. Cela faisait 15 ans que l’élection pour la présidence de la CGEM n’avait pas vu deux candidats s’affronter en campagne jusqu’au scrutin, puisque les précédents présidents étaient en fait candidats uniques.
Grand-messe du grand capital célébrée au Hyatt de Casablanca, le déroulement de cette assemblée ordinaire témoigne effectivement d’une façade démocratique qui peine à masquer les vestiges de l’ancien temps. TelQuel y a assisté et vous livre les à-côtés.
Rolls and Rolex
Il est 11 heures quand nous pénétrons au Hyatt ce 22 mai. Certains membres de la CGEM arrivent à pied, d’autres à bord de berlines de luxe. La signalétique de la CGEM les guide à travers l’hôtel jusqu’à une première salle où ils sont invités à récupérer leur bulletin de vote pour le scrutin. C’est l’effervescence. Le tout-Casa se salue et se congratule dans une ambiance potache. À première vue, le patronat affiche une unité. Pendant que les membres de la CGEM font la queue en file indienne devant les bureaux qui correspondent à leur numéro d’adhérent, nous sommes témoins d’une conversation entre Fayçal Mekouar et Assia Benhida. Alors que la fin de campagne a été marquée par quelques tensions entre les deux camps et qu’un scrutin doit les départager dans une poignée d’heures, les deux prétendants à la vice-présidence échangent tout sourire au milieu de leurs électeurs. « C’est bien normal, Fayçal est un ami et un collègue à la CGEM, » nous explique Assia Benhida. Marrakchi et Mezouar ont également bien pris soin de faire durer l’accolade devant les photographes.
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur de monde, et les deux équipes s’apprêtent à livrer un combat à la loyale par urnes interposées ? À y regarder de plus près, pas tout à fait. Sous couvert d’anonymat, des membres des deux équipes de campagne nous affirment en fait que « les dès sont jetés ». Mezouar battrait Marrakchi, le seul suspense réside sur le pourcentage. « C’est bon, on a au moins quatre mille voix, » lance un soutien de Mezouar à l’adresse d’un de ses coéquipiers avec lequel nous nous entretenons. Comment font-ils pour en être aussi persuadés, avant le vote ? Grâce au système des procurations.
Élection par procurations
Par ce document, un membre de la CGEM ne pouvant pas être physiquement présent à Casablanca le jour du vote confie son vote à un tiers. Les candidats l’ont bien compris et ont capitalisé là-dessus, surtout le camp Mezouar. « L’idéal, c’est qu’il y ait un maximum de gens présents, mais on ne peut pas obliger un patron de PME qui vient de Laâyoune ou de Tanger à se déplacer pour voter. Donc on préfère que les gens votent par procuration plutôt qu’ils ne votent pas, » nous expliquait la veille un pro-Mezouar. « Il faut se mettre en tête le contexte : c’est le mois de ramadan, l’assemblée va durer toute la journée, et les gens ne peuvent pas tous venir des régions. On fait tout un pataquès de ces procurations, mais c’est fait pour faciliter la vie aux gens. Sans ramadan et si on pouvait voter dans les régions, ces histoires de procurations n’auraient pas lieu d’être, » nous expliquait un autre.
Si cette question de procuration a fait grand bruit parmi les patrons, c’est parce que l’équipe Marrakchi a découvert le pot aux roses sur le tard. « Nous sommes face à une équipe qui a déjà été organisée en parti, qui a l’expérience de la lutte électorale. Il y a avec eux des gens parfaitement rodés à cela, ils ont trouvé la brèche et ils s’y sont engouffrés, » explique un pro-Marrakchi. De l’aveu même des équipes de Mezouar, elles se sont en effet livrées ces dernières semaines à une campagne téléphonique pour récolter ces fameuses procurations. Le procédé est le suivant : un membre de l’équipe Mezouar est choisi pour sa proximité avec l’électeur et chargé de le convaincre par téléphone de donner sa procuration à un membre de l’équipe Mezouar. « Oui, on m’a démarché par téléphone, c’est bien normal à l’approche d’une élection, » confirme un membre de la CGEM. Des sources nous ont en revanche fait part de « pressions commerciales » exercées par ces démarcheurs. Si nous avons été en mesure de confirmer que les appels avaient été parfois insistants et répétés, ces accusations de pressions ont par contre été battues en brèches par les adhérents que nous avons contactés. « On parle de chefs d’entreprise, ce ne sont pas des analphabètes, croyez-vous vraiment qu’on puisse les embobiner ? On ne leur a pas non plus mis un flingue sur la tempe ! » défend un pro-Mezouar, décomplexé.
L’équipe Marrakchi aussi a eu recours aux procurations. « J’en ai 50, » nous dit fièrement un soutien de Hakim Marrakchi, chargé de les collecter dans une des cinq plus grandes villes du Royaume. Ce ne sera pas suffisant. Hakim Marrakchi en récoltera environ 100. La team Mezouar, 800. D’autant que toutes les procurations ne se valent pas. Un membre de la CGEM compte en effet pour 1 à 10 voix en fonction du chiffre d’affaires de son entreprise. Ça aussi, l’équipe Mezouar l’a bien pris en compte. Un équipier fait littéralement le pied de grue devant un bureau en particulier. « C’est celui des grands groupes, c’est eux qui ont le plus de voix, » nous explique-t-il sans détour, avec sous le bras une serviette déjà remplie de bulletin de vote. Un coéquipier vient régulièrement l’alléger de son fardeau qui s’alourdit au fur et à mesure que des soutiens de l’ancien ministre des Affaires étrangères lui confient les bulletins issus des procurations.
Soigner les apparences
Au retour d’une douche pour « se rafraichir et se changer » dans une chambre au 6e étage de l’hôtel, le candidat Salaheddine Mezouar vient à son tour s’attabler au bureau des « grands groupes » pour récupérer les bulletins de vote des procurations qui lui ont été confiées. Nous comptons avec l’assesseure : pas moins de 23 procurations, soit 230 voix.
Aussi, lorsque la présidente sortante Miriem Bensalah-Chaqroun arrive sur place sous les crépitements des flashs d’une nuée de photographes et qu’elle lance le mouvement pour que les adhérents rejoignent le chapiteau où se déroule l’assemblée, on comprend que Salaheddine Mezouar se dise « serein« .
« Jusqu’à hier matin, je n’étais pas encore décidé sur mon vote. C’est magnifique, ça faisait très longtemps qu’il n’y avait pas eu de débat à la CGEM. C’est important, la concurrence, dans le monde de l’entreprise, » tente tout de même de nous persuader un adhérent, fin communiquant, sur le chemin du vote.
Avant de procéder aux votes, les patrons tiennent leur assemblée générale ordinaire. Si les formules réglementaires d’usage pour valider l’exercice 2017 n’ont a priori rien de passionnant, l’exposé des comptes de l’année précédente renseigne tout de même sur un drôle de phénomène à la CGEM : en 2017, un adhérent sur deux n’était pas à jour de ses cotisations. Alors que la confédération patronale a accueilli plus de 400 nouveaux membres cette année-là, les recettes des cotisations n’ont pas bougé. En 2018, en revanche, les adhérents se sont mis à jour de leur cotisation… une quittance indispensable pour avoir le droit de voter lors de cette élection.
Pendant la présentation « des faits saillants » de l’année 2017, Fayçal Mekouar compte discrètement des bulletins sur ces genoux. Son colistier n’est guère plus attentif. Alors que l’assemblée vote à main levée les résolutions de l’assemblée ordinaire, il est appelé à sortir de la salle par un de ses co-équipiers. Nous leur emboitons le pas… jusqu’au bureau des « grands groupes » où Salaheddine Mezouar salue un patron venu s’inscrire.
Il manque ainsi le discours d’adieu de Miriem Bensalah, où elle fait par trois fois référence à « l’indépendance » de la CGEM et qu’elle ponctuera en affirmant qu’elle a « le sentiment du devoir accompli ». Et d’ajouter : « c’est transcendant de pouvoir se dire ‘I did the job ». Après une standing ovation pour saluer celle qui a exercé deux mandats de trois ans à la tête du patronat, l’assemblée élective peut débuter.
Une question de timing
Ou pas. Salaheddine Mezouar a en effet été tiré au sort pour délivrer un dernier discours de 10 minutes chrono avant de procéder au vote, mais le candidat n’est pas là. « Deux minutes !, » promet son équipe. La régie envoie une musique d’ascenseur pour faire patienter l’assistance. Quelques minutes plus tard, Salaheddine Mezouar délivre le même speech que lors d’un précédent meeting. « Lorsqu’on est venu me chercher pour me demander d’être candidat à la tête de la CGEM, j’ai longuement réfléchi et maturé cette idée dans ma tête. Des amis m’ont dit que j’avais plus à perdre qu’à gagner pour ce retour aux sources, » démarre-t-il. Il se rend compte en cours de route qu’il n’est pas adapté au timing imparti, et accélère la cadence. Le président de la séance lui fait-il remarquer qu’il ne lui reste plus que deux minutes, qu’il saute sans transition au dernier paragraphe pour en finir.
Écrit à quatre mains, le discours de Hakim Marrakchi a davantage été maturé. Sans doute sait-il déjà qu’il ne lui sera pas donné de refaire de discours après le vote, mais ne peut s’avouer vaincu avant le scrutin. « Seuls les combats que l’on refuse de mener sont perdus, » déclare-t-il à la tribune, pour résumer ce sentiment ambigu.
Le vote est finalement ouvert, de 14 heures à 15 heures. Miriem Bensalah quitte la salle pour remplir son bulletin, qu’elle revient ensuite glisser, dans une enveloppe, dans une urne transparente. « Merci de mettre uniquement votre bulletin et pas l’enveloppe dans l’urne, pour faciliter le dépouillage. Si vous mettez l’enveloppe, votre vote ne sera pas invalide, mais merci de ne pas le faire, » avait-on pris soin de préciser avant l’ouverture des urnes. Une exception pour la présidente qui a fait montre de neutralité tout au long de la campagne, jusqu’au protocole pour glisser son bulletin dans l’urne.
Alors que le dépouillage des votes avance, avant même l’annonce officielle des résultats, la nuée de photographes se fait déjà de plus en plus dense autour de Salaheddine Mezouar. Il n’y a plus de surprise à attendre, si ce n’est l’importance de l’écart entre les deux candidats.
Sur 6721 voix inscrites et 6635 exprimées, Salaheddine Mezouar en récolte 5173. Hakim Marrakchi 1432. « Bon courage, » félicite Hakim Marrakchi. « Merci, tout commence maintenant, » répond le vainqueur.
À la tribune, sous les applaudissements, Salaheddine Mezouar confirme sa démission du RNI comme il l’avait promis en campagne et, des trémolos dans la voix, a un mot pour sa mère, sa femme et ses enfants.
« Je suis très heureux d’avoir fait cette campagne, d’avoir présenté des idées, d’être différent, j’espère que ça sera une leçon démocratique pour tout le monde. Elle aurait été plus belle si nous l’avions remporté parce que ce serait la preuve qu’on peut bousculer les choses, il suffit de vouloir pour y arriver. Je félicite MM. Mezouar et Mekouar pour leur magnifique victoire. Maintenant, le temps est à l’union. Il faut espérer que la CGEM sorte grandie plus forte et plus unie, » nous déclare quant à lui Hakim Marrakchi. « Je pense que la CGEM n’était pas tout à fait préparée techniquement à avoir une élection avec des candidats multiples. Je suis sûr qu’à l’avenir il y aura certains garde-fous qui seront mis en place, mais les règles ont été respectées, donc la victoire de M. Mezouar est incontestable, » conclut-il, bon perdant.
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