Patrick Kwibo Nana, alias Teddy Patou, est arrivé au Maroc en 2012, sans tampons sur son passeport, car en traversant clandestinement les pays qui séparent le Royaume du Cameroun.
C’est dans la banlieue de Douala, la capitale économique du Cameroun, qu’il a grandi dans une famille de sept enfants. Son enfance Teddy la décrit comme « normale », avec peu d’argent, mais « remplie d’amour ». « On n’avait pas la télévision, mais mon père s’est battu pour qu’on ait un compteur d’électricité », nous raconte-t-il.
C’est en troisième année de lycée que les choses se compliquent. La famille manque d’argent et Teddy est réquisitionné par son père pour laisser tomber ses études et commencer à travailler. « Ma mère ne travaillait pas. On lui a diagnostiqué un cancer assez tard, mais on peut dire qu’elle a toujours été malade« , raconte-t-il.
Teddy se refuse à arrêter l’école. Il vend des sacs plastiques à la sauvette durant toutes les périodes de vacances, et ce jusqu’après l’obtention de son bac. A la fin des vacances, le jeune homme a amassé suffisamment d’argent pour payer les fournitures scolaires de toute la famille, et payer sa propre scolarité.
Teddy se lance dans les études universitaires, en sciences économiques. A cette époque, sa mère est très malade et le jeune étudiant se demande comment la sauver. Il la voit maigrir de jour en jour, sans avoir les moyens de la soigner. C’est à ce moment que l’envie de quitter le Cameroun s’impose à lui. « Ça a été une sorte de fuite de responsabilités. Voir ma mère souffrir et ne pas être en mesure d’atténuer ses souffrances, je n’en dormais plus. Il fallait que je l’aide, » nous confie-t-il.
Fin de l’année 2009, Teddy a 26 ans. Il quitte le Cameroun, 90.000 francs CFA (1.500 dirhams) en poche, avec comme but ultime, l’Europe, son eldorado. Il nous confie qu’avant de partir, il ne savait rien de la route clandestine. « Je savais qu’on partait du Cameroun pour le Nigéria, pour le Niger, pour l’Algérie, pour le Maroc, et ensuite l’Espagne. Comment traverser un désert, une frontière ? J’étais ignorant », se rappelle-t-il.
Aujourd’hui, maman est morte
Le voyage est périlleux. Chaque trajet est semé d’embuches et chaque franchissement de frontière, un risque. Pour passer du Cameroun au Nigéria, il faut traverser un pont. Sans papiers, c’est impossible sans se payer les services d’un passeur. « Ils vous font passer le pont et vous lâchent dans la première ville nigériane« , nous explique Teddy.
Les clandestins sans le sou effectuent donc un long détour à pied par la forêt, très dangereuse. Même procédé du Nigéria au Niger : « on vous parque comme du bétail et selon vos moyens on essaye de vous trouver des véhicules pour traverser le Niger« .
Teddy, à court d’argent, travaille sur un chantier dans le désert nigérien, avant de rejoindre la frontière algérienne où il lui faudra encore traverser le Sahara. Les passeurs s’occupent de trouver le transport, mais laissent les migrants à mi-parcours. Il faut finir à pied.
Arrivé en Algérie, Teddy Patou décrit des conditions cauchemardesques. Il vit dans une grotte, faute de moyens. « A l’époque déjà, il y avait la traque aux Noirs, avec une police antiterroriste, mais aussi anti-immigration ».
Malgré tout, un ami arrive à dénicher un cybercafé. Teddy en profite pour vérifier ses mails. « Ma grande sœur Nelly m’avait laissé un message deux jours plus tôt pour me dire que ma mère était morte. Mon plus gros coup dur », confie-t-il. S’ensuit une période de doutes, mais aussi de tristesse et de mélancolie. « Je me suis demandé si ça servait encore à grand-chose de continuer. J’avais décidé de faire le chemin inverse à pied », nous avoue-t-il.
Ses compagnons de route l’en dissuadent, d’autant plus qu’ils entendent dire qu’au Maroc, les choses sont moins pénibles. Les Marocains seraient « plus respectueux envers les blacks ».
Nous sommes en 2012. Teddy décide de mettre le cap sur le Maroc. Pour se payer le voyage, il travaille sur des chantiers pour parfois seulement 50 dinars (4 dirhams) la journée.
Maroc, destination finale ?
A Maghnia, dans leur campement improvisé, chaque soir avec ses « frères » ils conversent, se racontent leurs rêves. C’est à cette période que ses amis d’infortune lui font remarquer qu’il a une voix de radio. « Ça a réveillé en moi une passion. Avec mon ami Ernest, chaque soir, on s’asseyait et on simulait des émissions radio, avec des interviews« se souvient-il.
Ensemble, ils décident de quitter l’Algérie pour rejoindre l’Espagne par Nador. Leurs chemins se séparent pourtant quand Ernest décide de « tenter la barrière » à Nador. Teddy ne l’accompagne pas. « A ce moment-là, je me rends compte que des Subsahariens s’en sortent au Maroc et je commence à faire de mon passage en Europe une option« .
Ce soir-là, de grosses émeutes éclatent lorsque des migrants essayent de forcer les barrières. Ernest n’en ressortira pas vivant. « J’avais trouvé un frère sur la route, et maintenant il n’est plus », déplore-t-il.
Le drame est un tournant. Teddy ne baisse pas les bras et entre au Maroc par Oujda. Sa première rencontre sera décisive: Youssef, un apprenti maçon marocain qui l’accueille chez lui et lui trouve un énième job sur un chantier, pour 30 dirhams par jour. « Pour moi ça faisait 300 dinars et ça me paraissait énorme », rigole-t-il aujourd’hui.
Le jeune Camerounais se rend vite compte que les habitants du quartier n’acceptent pas son séjour chez Youssef. « Je ne voulais pas lui mettre ses voisins à dos, alors j’ai décidé de partir« .
Avec l’accord de l’entrepreneur, Teddy s’aménage un petit coin sur le chantier pour y vivre. C’est Youssef qui l’encourage à continuer son chemin au Royaume plutôt qu’en Europe. « Va à Rabat, où les gens sont plus ouverts« , lui avait-il conseillé. Ironie du sort, Youssef est aujourd’hui en situation irrégulière en France.
A l’hiver 2012, Teddy arrive dans la capitale marocaine. Un soir, il s’incruste dans la cage d’escalier d’un immeuble dont la porte est entrouverte. Pendant la nuit, un habitant de l’immeuble lui jette une couverture. Le lendemain soir, il revient. L’homme lui avait déposé quelques fruits et une bouteille d’eau. « Je ne savais pas si c’était pour moi ou pour le gardien, j’ai attendu quelques heures, puis j’ai compris qu’il n’y avait pas de gardien« , raconte Teddy.
Le bout du tunnel
La chance commence à tourner. Le lendemain matin, Teddy rencontre Christian, un Camerounais établi à Rabat, qui l’accueillera dans son salon. « J’ai pu prendre une vraie douche pour la première fois depuis mon départ et manger un vrai repas chaud, assis à une table », s’exclame le journaliste.
Grâce au cybercafé situé en face de chez Christian, Teddy reprend contact avec Nelly, sa grande sœur. « Quand j’ai ouvert ma boîte mail, je suis tombé sur des tonnes de messages de sa part : ‘je souhaite que tu sois quelqu’un, que tu y arrives‘, ‘je sais que ça t’arrive de penser que tu nous as abandonnés, mais ne culpabilise pas' ». Ces messages et le constat que des subsahariens pouvaient réussir au Maroc le reboostent. Son rêve de faire de la radio commence tout doucement à prendre forme.
Au même moment, le Centre culturel africain de Rabat crée une webradio, Kulture Mozaïk, et lui propose d’y animer une émission. Alors qu’il présente le concours Miss Afrique Maroc, Teddy rencontre l’animatrice maroco-guinéenne Nadia Macauley. « Ça te dit qu’on réalise une émission de radio avec 6 dirhams ? » lui propose-t-il. Ensemble, ils créent « Café au lait », une émission mensuelle diffusée sur la webradio du Centre culturel et qui croise le parcours de deux artistes invités, un Marocain et un Subsaharien. Le chanteur Issam Kamal fait partie des premiers invités. Les retours de l’émission sont très positifs.
Près d’un an après l’arrivée de Teddy chez Christian, les nouvelles sont bonnes. Le Maroc annonce une nouvelle politique migratoire: la régularisation des clandestins pour 2014.
Ne rentrant pas dans les critères parce qu’il n’est pas sur le territoire marocain depuis 5 ans, Teddy voit sa demande rejetée. Il sera finalement régularisé en 2015, lors de l’opération de régularisation exceptionnelle opérée par la Commission des recours.
Son engagement finit par payer. Il est contacté par la Fondation Orient-Occident pour animer une émission quotidienne sur Radio F. Dans le cadre de l’émission, il reçoit Ouadih Dada pour la présentation de son livre Imaginez si c’était vrai. L’ancien présentateur du JT de 2M le contactera par la suite pour l’encourager à postuler chez 2M.
C’est ainsi que le trentenaire y travaille depuis six mois, au Journal de l’Afrique. Au Cameroun, tout le monde est aux anges. « Quand j’ai été recruté, ma sœur a organisé une fête à la maison. Non pas parce que j’allais gagner de l’argent, mais parce que son petit frère a réussi, il est journaliste au Maroc« .
Depuis, toute la famille l’écoute chaque jour, sans exception. « Je crois que s’ils avaient la possibilité de mettre des haut-parleurs dans le quartier pour que tout le monde m’écoute, ils le feraient« , s’amuse-t-il, fier.
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