Gamal Abdel Nasser l’Egyptien, au sommet de sa gloire, Amadou Sékou Touré, le Guinéen qui a dit non à de Gaulle, Modibo Keita du Mali, Ferhat Abbas, le chef du gouvernement algérien en exil, tous là, côte à côte, et d’autres encore. Non, ce n’est pas le sommet de Bandoeng, où furent tracées les grandes lignes du nonalignement. Ni La Havane, encore moins Moscou. Il s’agit de Casablanca, pendant l’été 1960.
Car il fut un temps, à peine croyable au vu des développements politiques ultérieurs du Maroc, où Rabat pencha pour le tiers-mondisme. Cela se fit dans les dernières années du règne de Mohammed V, et sous le gouvernement de Abdellah Ibrahim. La clé de cette politique n’est pas dans la renonciation aux revendications territoriales marocaines. Au contraire.
Le Maroc, quelques années après son indépendance, s’insurgea contre le découpage arbitraire de l’Afrique sous occupation française, particulièrement le charcutage de ses « provinces historiques », dont une partie allait constituer la Mauritanie. Le front révolutionnaire que cherchaient à constituer Mohammed V et Abdellah Ibrahim visait à préserver l’Afrique des indépendances artificielles et de la balkanisation.
A ce propos, aussi bien Nasser que Sékou Touré, parmi les plus radicaux, soutenaient Rabat. Après tout, l’indépendance signifiait bien la fermeture de la parenthèse coloniale. Mais les choses brusquement changèrent. Intérieurement, la ligne préconisée par le prince héritier et futur Hassan II, fermement pro-occidentale, triompha après son accès au trône et la marginalisation des formations de gauche.
Sur le plan africain, l’indépendance algérienne et le coup d’Etat qui livra Alger à l’armée des frontières de Boumediene et Ben Bella et écarta Ferhat Abbas, la guerre civile au Congo ex-belge, la formation d’un bloc francophile en Afrique de l’Ouest sous la conduite de Houphouët Boigny, toutes ces évolutions plongèrent l’Afrique dans la guerre froide et rendirent difficiles les alliances originales entre une vieille monarchie et de jeunes républiques.
La création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), en 1963 à Addis-Abeba, acheva de ruiner le rêve du Groupe de Casablanca. En 1964, au Caire, l’OUA adopte le principe de l’intangibilité des frontières, déjà revendiqué par le « Groupe de Monrovia », un autre rassemblement d’Etats africains qui s’opposaient au groupe de Casablanca. Et le Maroc est définitivement rendu inaudible, lorsqu’il parle de récupérer ses provinces perdues.
Soixante ans plus tard, et après que bien des eaux tumultueuses et parfois sanglantes ont coulé sous les ponts de l’unité africaine, où en sommes-nous ? L’OUA est devenue l’Union Africaine, et le Maroc, après l’avoir quittée en 1984, est de retour. Le principe de l’intangibilité des frontières n’a plus jamais été remis en cause. Mais la réalité n’a pas cessé de le démentir depuis maintenant trois décennies : l’indépendance de l’Erythrée, puis du Sud-Soudan, ont montré combien fragiles étaient les découpages occidentaux.
L’Afrique renoue avec sa profondeur historique, et les Etats neufs, comme l’Algérie, marquent le pas devant les « vieux Etats », qui ne cessent de rappeler que le monde n’a pas été créé par les Occidentaux. Les succès diplomatiques marocains annoncent-ils un retour au Groupe de Casablanca ? Dans le rapprochement entre les républiques africaines et le royaume chérifien, oui, il y a bien quelque chose de l’esprit du Groupe de Casablanca qui flotte dans l’air.