Troisième nuit de tensions en Tunisie: les raisons de la colère

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Selon la politologue Olfa Lamloum, "les jeunes sont déçus par rapport à la révolution, surtout à cause de la cherté de la vie" (crédits photo: Fethi BELAID/AFP)

La tension ne diminue pas en Tunisie, où des nouveaux heurts ont éclaté mercredi soir entre manifestants et policiers dans plusieurs villes, au troisième jour d’une contestation alimentée par des mesures d’austérité.

À Siliana (nord-ouest), des jeunes ont jeté mercredi soir des pierres et des cocktails Molotov sur des agents sécuritaires, et tenté de s’introduire dans un tribunal dans le centre de cette ville. La police a riposté par des tirs de lacrymogènes, a constaté un correspondant de l’AFP.

Des échauffourées ont de nouveau eu lieu à Kasserine, dans le centre défavorisé du pays, où des jeunes de moins de 20 ans tentent de bloquer les routes avec des pneus en feu, et jettent des pierres sur des agents sécuritaires, selon un correspondant de l’AFP.

Plusieurs dizaines de manifestants sont aussi descendus dans la rue à Tebourba, à 30 km à l’ouest de Tunis. C’est dans cette ville qu’a été enterré mardi l’homme décédé lors de heurts dans la nuit de lundi. La police a riposté par des tirs massifs de lacrymogène, a indiqué un habitant.

Selon des médias locaux, des scènes similaires ont eu lieu dans des quartiers près de Tunis.

Le Premier ministre dénonce l’opposition

Déjà la semaine dernière, des manifestations pacifiques sporadiques avaient dénoncé la hausse des prix et un budget d’austérité prévoyant entre autres des augmentations d’impôts. Depuis lundi, d’autres troubles sociaux ont été enregistrés dans le pays, sept ans après le début du Printemps arabe, avec une révolution qui réclamait travail et dignité, et avait fait tomber le dictateur Zine al-Abidine Ben Ali.

Lors d’une visite mercredi à el-Battan, près de Tebourba, le Premier ministre Youssef Chahed a condamné les actes de « vandalisme » qui, selon lui, « servent les intérêts des réseaux de corruption pour affaiblir l’État ». Il a pointé du doigt le Front populaire, un parti de gauche opposé au budget.

Dans la nuit de mardi à mercredi, 49 policiers ont été blessés, 237 personnes arrêtées et des fourrières ont été attaquées lors des troubles, a indiqué le ministère de l’Intérieur, en accusant des casseurs d’avoir été payés par des meneurs politiques. Aucun bilan d’éventuels blessés parmi les protestataires n’a pu être obtenu auprès des autorités.

Des jeunes « déçus » par la révolution

« Il y a des actes de pillage et de vol, mais aussi un message politique de la part d’un pan de la population qui n’a plus rien à perdre », estime le politologue Selim Kharrat, soulignant que nombre de symboles de l’État ont été pris pour cible. L’armée a été déployée autour de banques, bureaux de postes et autres bâtiments gouvernementaux sensibles dans les principales villes du pays, selon le ministère de la Défense.

Pour la politologue Olfa Lamloum, « la nouvelle loi de finances est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». « Les jeunes sont déçus par rapport à la révolution, surtout à cause de la cherté de la vie », dit-elle, soulignant « l’approfondissement des inégalités sociales mis en évidence par les statistiques officielles » – hausse du taux de pauvreté, du chômage et de l’illettrisme chez les jeunes notamment.

Les protestations nocturnes ont été émaillées de violences. Un supermarché de la banlieue sud de Tunis a été pillé, mardi, par des jeunes qui ont volé argent et marchandises, selon Mohamed Baccouche, directeur adjoint d’exploitation du groupe français de distribution Carrefour.

Tentation autoritaire?

Si la Tunisie, unique pays rescapé du Printemps arabe, est parvenue jusque-là à faire avancer sa transition démocratique, elle reste engluée dans la morosité économique et sociale. Dans ce contexte, un centre de réflexion, l’International Crisis Group (ICG), met en garde contre le risque de dérives autoritaires, et contre la tentation d’un retour à un régime dur.

« La classe politique n’a pas encore cédé à cette tentation autoritaire », mais « dans un contexte de marasme économique, la nostalgie d’un État fort, à l’image de celui que l’ancien régime prétendait défendre, se répand », écrit ce think tank, dans un rapport publié jeudi.

Après plusieurs années de marasme économique et d’embauches massives dans la fonction publique, le pays est confronté à d’importantes difficultés financières. L’inflation a dépassé les 6% fin 2017, tandis que dette et déficit commercial atteignent des niveaux inquiétants. Tunis a obtenu en 2016 une nouvelle ligne de crédits du Fonds monétaire international (FMI), d’un montant de 2,4 milliards d’euros sur quatre ans, en échange d’un programme visant à réduire les déficits.

Les militants de la campagne « Fech Nestannew » (Qu’est-ce qu’on attend, ndlr) lancée en début d’année contre les hausses de prix, ont appelé à manifester massivement vendredi. Ils réclament une révision de la loi de finances, qui a augmenté la TVA et créé différentes autres taxes, ainsi qu’une meilleure couverture sociale pour les familles en difficulté et une lutte plus efficace contre la corruption. Dans un communiqué, la centrale syndicale UGTT a appelé à un rassemblement dimanche devant son siège à Tunis, pour la commémoration du 7e anniversaire de la révolution de 2011.

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