Tu te sens déjà en vacances. Tu ne fous plus grand-chose au bureau. Tu penses aux fêtes de fin d’année. Tu as la fièvre du shopping et ce ne sont pas les dizaines de sms, de mails et d’invitations Facebook pour des promotions et ventes privées qui vont t’aider à te calmer. Les boutiques sont décorées, les vitrines sont alléchantes, et ça suffit pour te mettre de bonne humeur. Tout le monde autour de toi semble être pris par ce tourbillon de festivités. Zee est très excitée par cette soirée déguisée à laquelle elle est invitée le trente-et-un. Ta tante fait déjà des essais de farce pour son chapon et ta mère se pose des questions existentielles de plan de table. Ton père a hâte d’être à l’année prochaine. Ta collègue écoute Mariah Carey et ton cousin bougonne.
Comme tous les ans, il se demande pourquoi on fête Noël. Comme tous les ans, il se met à parler d’acculturation, de pertes de valeurs, de soumission à l’Occident, et, comme tous les ans, il finira par passer une super-soirée. Il adore recevoir des cadeaux et il adore bouffer. Ce qu’il y a de pratique avec ton cousin, c’est que la plupart de ses petits principes sont solubles dans le plaisir. Et tu te rends compte que c’est assez répandu comme mode de fonctionnement ici. Tu n’arrêtes pas d’entendre des gens pousser des cris d’orfraie à chaque célébration d’une fête qui ne serait pas dans notre ADN culturel. Tu trouves ça assez triste d’être aussi étriqué à l’ère de la mondialisation, mais bon, c’est un autre débat. Plus concrètement, dimanche dernier, tu as été à un marché de Noël et tu ne peux que constater que les gens avaient l’air de trouver ça plutôt très agréable. C’était bondé, les gens faisaient la queue pour manger de la tartiflette, les ventes de sapins explosaient et le vin chaud faisait joyeusement tourner les têtes. Bref, c’était festif et toi tu trouves ça sympa, les ambiances festives. Et puis surtout, tu ne comprends pas comment on peut être contre l’idée même de faire la fête. Tu ne vois vraiment pas pourquoi on devrait s’interdire des moments agréables. Parce que ça ne vient pas de chez nous ? Et alors ? La Coupe du Monde non plus dans ce cas ! D’ailleurs, qu’est-ce qui vient de chez nous ? Et surtout, c’est quoi ce chez nous ? Parce que toi, tu serais la première à trouver sublime une vraie célébration de notre identité, une véritable mise en valeur de notre patrimoine culturel. Mais de notre identité singulière, pas de cette espèce de bouillie vaguement orientalisante qu’on veut nous faire admettre comme étant notre identité. Parce que ce pays a une histoire millénaire et riche, il a une culture singulière et plurielle, il a des langues qui ne sont peut-être pas sacrées, mais qui doivent exister.
Il ne suffit absolument pas de se gargariser de cette expression aussi pompeuse que sordide : “Le plus beau pays du monde”. Il faudrait peut-être faire des choses concrètes pour le préserver, ce pays qu’on a l’air d’aimer si fort. Parce qu’à part se draper dans du patriotisme de salon et faire des tempêtes dans des verres d’eau, tu ne vois pas grand-chose. Et ce n’est pas la télé nationale qui va te prouver le contraire. Visiblement, ses dirigeants ont une autre définition de la mise en avant du patrimoine local. Ils n’ont rien trouvé de mieux à faire que de célébrer un type qui se pavane sur les réseaux sociaux, chanteur à succès et violeur présumé, en plein cœur d’un procès. Alors tu te dis que si c’est ça, la glorification de la culture, tu préfères encore te recommander un verre de vin chaud et finir d’écrire ta lettre au Père Noël.