En ce moment c’est l’effervescence. Ça ne s’arrête jamais. Il se passe tellement de choses autour de toi que tu as l’impression d’être débordée. Tu ne fous rien et tu es débordée. Un comble. A ce rythme-là, ta vie va finir par devenir un oxymore. C’est qu’il s’en passe des choses en ce moment, presque trop. Le Maroc est qualifié pour la Coupe du Monde, des secrétaires d’Etat ont été limogés, un Louvre est apparu chez les pingouins du désert. Des attentats sont commémorés en grande pompe, d’autres sont perpétrés dans l’indifférence. Des migrants continuent de brûler leurs vies en rêvant d’ailleurs. Les Saoudiens s’énervent et s’emprisonnent entre cousins. Trump a l’air toujours aussi allumé. La terre a tremblé là où les vies tremblent déjà.
Bref, le monde tourne très vite et te fait tourner la tête. Toi, d’habitude, l’actualité ne te passionne pas vraiment. Tu es bien trop souvent enfermée dans ta bulle, coincée entre angoisse narcissique et nombrilisme hystérique. Tu regardes rarement plus loin que le bout de ton nez, sur lequel sont vissées tes lunettes de soleil. Le monde extérieur se limite à des destinations de vacances potentielles. Mais en ce moment, tu te sens embarquée par cette frénésie. Tu lis, tu cliques, tu commentes, tu partages et tu aimes bien ça. Tu prends goût à ce qui se passe autour de toi. Même le foot commence presque à t’intéresser, c’est dire ! Et comme on n’a pas arrêté de te répéter que cette qualification pour la Coupe du Monde est historique, tu as fini par te laisser prendre par ce bain d’émotions. Tes potes sont comme des fous, ton père est ému comme un gamin, les gens sont heureux. Tu trouves incroyable cette machine à bonheur qu’est le foot. Tu envisages même d’aller en Russie. Ce serait l’occasion de mixer caftan et fourrure, un must ! Cette idée te fait pas mal rêver. Ce serait assez canon sur une couv’ de magazine de mode. Ce serait bien plus glamour que ce qui passe dans certains médias du plus beau pays du monde en ce moment.
Parce qu’après l’émotion du sport, il y a eu comme actualité une polémique qui rappelle que ce pays est également capable de produire beaucoup de choses sordides. Il y a quelques jours, la présumée victime du présumé violeur a.k.a star nationale a parlé, et ce même présumé violeur fait la Une d’un magazine. Oui oui, Monsieur pose langoureusement au pied de la Tour Eiffel, on pourrait croire à une carte postale tellement c’est cliché. On en oublierait presque que Monsieur est au cœur d’un procès et que la justice n’a pas encore rendu son verdict. Bien évidemment que tu y crois, à la présomption d’innocence, mais là, ce n’est même plus de présomption dont il s’agit, ça semble être de la certitude ! Mais au-delà de ça, ce à quoi tu crois aussi, c’est la décence. Et pour le coup, tu la trouves d’une indécence sans nom, cette Une. Ce n’est sans doute pas illégal mais ça te semble assez immoral. Tu te demandes comment un mec qui dirige un magazine peut se dire que c’est une bonne idée. Tu as un peu de mal à imaginer comment a dû se passer la réunion de ré- daction. “On met quoi en couv’ ce mois ?” “Et si on mettait Untel, il est vachement photogénique.” “Il est accusé de viol”, “c’est pas grave, il est beau gosse”… tu trouves ça vraiment sordide sur la forme, et comme sur le fond il n’y a pas grandchose à dire, tu te demandes à quoi ça sert. A faire du buzz sans doute. C’est donc aussi comme ça que se fabrique l’actualité. Tu trouves ça un peu glauque, et ça te donne envie de t’indigner ou de retourner dans ta bulle.