« Mohammed VI, briseur de blocus ». C’est ce hashtag qui a été utilisé par les twittos qataris pour saluer le déplacement du souverain entre les Émirats Arabes Unis (EAU) et le Qatar, le premier vol direct entre les deux États depuis le blocus imposé à Doha par Riyad et ses alliés le 5 juin dernier.
Un acte de défiance? Pas vraiment, plutôt une main tendue pour le dialogue, suggère un fin connaisseur du dossier. « Le Maroc a, comme la règle l’exige, fait une demande auprès des autorités saoudiennes pour obtenir cette autorisation qui est une simple procédure qui se fait par la voie diplomatique« , explique Samir Bennis, ancien conseiller politique de la mission permanente du Qatar aux Nations Unies et cofondateur du site Morocco World News.
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Depuis le début de la crise entre Doha et Riyad, Rabat a adopté une position de « neutralité constructive« , et semble vouloir se positionner comme conciliateur dans la résolution de la crise au Qatar.
Il a notamment appelé les dirigeants des pays concernés à résoudre leurs différends par le dialogue. Une position notamment motivée par les « liens de fraternité » unissant Mohammed VI et les dirigeants des États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
En déplacement dans la région depuis le 7 novembre, il s’est d’abord rendu aux Émirats Arabes Unis avant de se diriger le 12 novembre vers le Qatar, faute de se rendre en Arabie saoudite où le prince héritier Mohamed Ben Salman (MBS) a entamé une vaste opération de purge anticorruption.
Durant sa tournée le souverain s’est appuyé sur les « excellentes relations personnelles » qu’il entretient avec les dirigeants de la région pour tous les rencontrer et être « un interlocuteur digne de confiance » et « désintéressé« , selon Samir Bennis.
À Abou Dhabi, un ami de longue date
Lors de la première étape de sa tournée, aux Émirats Arabes Unis, Mohammed VI a ainsi effectué une « visite d’amitié et de travail ». Le souverain a participé à l’inauguration du Louvre d’Abou Dhabi, en présence du président français Emmanuel Macron, mais surtout celle du prince héritier émirati, Cheikh Mohammed Ben Zayed Al Nahyan (MBZ). Ce dernier est considéré comme un mentor de MBS et entretient une longue relation avec le roi du Maroc.
« Leur relation est très étroite et date de plus de quatre décennies. Elle a été forgée dès le milieu des années 1970« , indique Samir Bennis qui précise que l’émir d’Abou Dhabi a fait ses études au Collège royal de Rabat et a participé à la Marche verte.
Une relation qui justifie l’action du Maroc qui est « conscient que les Émirats Arabes Unis (EAU) sont l’acteur majeur dans la crise actuelle du Golfe« , et que la résolution de cette dernière « passera nécessairement par un accord à Abou Dhabi« , selon le conseiller diplomatique.
Bennis rappelle que les Émirats seraient « l’instigateur principal » de la campagne médiatique contre le Qatar, menée par l’ambassadeur à Washington, Youssef Al Otaiba, comme en attestent de récentes fuites d’emails révélés par le site américain The Intercept.
« Étant donné que les Émirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite sont les partenaires qui mènent le blocage politique et économique au Qatar, la visite du roi aux EAU et ses discussions diplomatiques avec MBZ ont probablement été partagées avec les Saoudiens avant que Mohammed VI ne se rende à Doha pour rencontrer l’émir du Qatar Tamim Ben Hamad Al Thani le 13 novembre« , analyse Aomar Boum, chercheur spécialiste du discours politique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à l’université de Los Angeles (UCLA).
Partenaires fiables
Lors de l’étape qatarie de sa tournée dans le Golfe, Mohammed VI s’est entretenu avec le cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani sur « l’excellence des relations entre les deux pays frères » et la « ferme volonté des deux chefs d’État de consolider davantage la coopération dans différents domaines« , d’après le communiqué officiel du gouvernement qatari.
Avant l’arrivée du roi, Mohammed Ibn Abderrahmane Al Thani, ministre qatari des Affaires étrangères, avait déclaré à Jeune Afrique: « Les Marocains ont toujours été des partenaires fiables. Le pouvoir à Rabat sait que cette crise est sans fondement et il constitue un médiateur précieux« .
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« Mohammed VI a gagné la confiance de l’émir du Qatar après avoir refusé de soutenir le blocus en envoyant de la nourriture au Qatar pendant le ramadan« , analyse Aomar Boum. Ce rapprochement entre le Qatar et le Maroc, d’abord proche des EAU et de l’Arabie, a eu lieu lors des « 5 dernières années, et surtout depuis l’arrivée de l’émir Tamim Ben Hamad Al Thani au pouvoir« , souligne Samir Bennis.
« Rabat a fait preuve de pragmatisme et de réalisme et a signifié que ses décisions de politique étrangère ne dépendent pas des décisions des autres, et qu’elles se placent au-dessus de la mêlée de certains pays arabes« , contrairement à la position qu’ont prise la Turquie, la Jordanie ou les États-Unis qui se sont alignés sur celle de Riyad.
Cette neutralité « va vraisemblablement permettre au Maroc d’être l’atout de dernier recours au cas où d’autres tentatives se révéleraient incapables de mettre fin à la crise« , poursuit Samir Bennis. Les États-Unis ont déjà essayé de demander à l’Arabie saoudite un dialogue avec Tamim, qui a été refusé.
Quid de la « neutralité constructive » ?
Le Maroc a donc cette préoccupation si forte de garder une « équidistance vis-à-vis des deux camps« , ce qui est une « décision raisonnable conforme à ses intérêts« , selon Samir Bennis. Le politologue et historien Aomar Boum rappelle que, lors du sommet d’avril 2016 et avant même la crise dans le Golfe, Mohammed VI avait déclaré: « Le Maroc est libre dans ses décisions et ses choix, et il n’est la réserve exclusive d’aucun pays« .
Une position qui rappelle celle de son père, Hassan II. La faiblesse du Maroc est pourtant d’être dans « une vulnérabilité et une dépendance économique envers certains pays du CCG » qui l’oblige à « maintenir cette neutralité constructive », nuance Aomar Boum.
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« Cette position de neutralité constructive et de médiation marocaine est, semble-t-il, modérément appréciée à Riyad. Les crispations ont été plus ou moins explicitées par voie de presse« , nous avait affirmé le chercheur David Rigoulet-Roze (Géopolitique de l’Arabie Saoudite, Ed. collection perspectives géopolitiques) dans une interview au début de la crise.
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