Ça y est, le Maroc a gagné. Pas la Coupe du Monde, on est bien d’accord. Mais le Maroc a gagné quelque chose. Enfin pas vraiment le Maroc, mais un club marocain a gagné la Ligue des champions africaine. Et ce n’est pas rien. C’est historique ! La ville a vibré, les rues étaient rouges. Rouge de joie, la ville était bruyante, de ces bruits d’euphorie et de liesse. Tout le pays a vécu une soirée pleine d’émotions. Les cafés étaient pleins, les rues étaient bondées. Les gens ont crié, chanté, se sont tombés dans les bras, les voitures ont klaxonné jusque très tard dans la nuit. Des vidéos ont été postées depuis les quatre coins du monde, tes compatriotes ont fait la fête partout.
Toi, bien évidemment, le foot tu t’en tapes un peu. Tu n’y comprends pas grand-chose et tu n’y vois pas grand intérêt. Onze mecs baraqués qui courent derrière un ballon, à la rigueur tu peux trouver ça joli à regarder, mais ça n’a pas grand-chose à voir avec le sport. Tu t’es toujours demandé pourquoi tant de passion et de déchaînement pour ce truc. Ça fait partie des choses qui te dépassent complètement. Mais là, tu l’as vu ce match. Tu as été le voir carrément au stade. Bien évidemment, tu as énormément hésité quand tes potes t’ont proposé ce plan, que tu as d’abord trouvé totalement scabreux. Tu te demandes même comment ils ont pu oser te proposer un truc pareil. Et puis, finalement, entre l’insistance de tes potes et ta curiosité, tu as fini par accepter. Tu dois reconnaître que tu n’avais rien de mieux à faire ce soir-là. Enfin bref, tu as été au stade. Zee n’y croyait tellement pas que tu as dû lui envoyer des selfies. Avant d’y aller, tu t’es posé des dizaines de questions en étant assez inquiète. Avec du recul, tu te trouves un peu conne. Tu avais l’impression d’aller à “Rendez-vous en terre inconnue”. Tu flippais, tu avais en tête des images ultra-violentes de stades pleins à craquer de testostérone agressive. Ta surprise n’en a été que plus belle. Bon, au niveau testostérone tu ne vas pas te mentir, elle est clairement majoritaire. La parité dans les stades de foot ce n’est pas encore d’actualité, par contre, niveau ambiance, ce n’était pas du tout agressif. Loin de là. C’était beau et festif. Tu as eu des frissons toute la soirée et même les larmes aux yeux par moments. Soixante mille personnes qui chantent, ça ne peut que donner des frissons. Soixante mille personnes qui sautent de joie, forcément ça te porte et ça te fait sauter de joie. Quand le but casablancais a été marqué, tu as ressenti quelque chose que tu n’avais jamais ressenti auparavant : une joie qui se partage. Tout le monde s’est tombé dans les bras. Et là tu as réalisé quelque chose que tu n’avais encore jamais vu avant. Tu as vu ton pays uni, sans barrière.
Pendant quatre-vingt-dix minutes, tu as ressenti dans ta chair ce sentiment d’appartenance, ce patriotisme abstrait dont certains se gargarisent tu l’as respiré dans l’air de ce stade de foot. Tu ne comprends peut-être pas grandchose aux règles du hors-jeu mais tu te dis que comme machine à rendre heureux, il n’y a rien de plus efficace qu’une victoire au foot. Finalement, il en faut peu pour être heureux. Ça a l’air un peu con dit comme ça, mais tu le penses vraiment. Le plus beau pays du monde ne sert pas à grand-chose si ses habitants ne sont pas les plus heureux du monde. Et pour l’instant, il faut reconnaître que niveau indice de bonheur, on est assez loin. Mais après avoir partagé autant de joie et communié pour la première fois, tu te dis que ce n’est peut-être pas d’un train qui roule très vite dont on a besoin en priorité, mais de projets qui nous fassent rêver très haut. Tous ensemble.