Suspendus aux lèvres de Mohammed VI. Les observateurs de la scène politique l’étaient tous, ce vendredi 13 octobre lors de l’ouverture de la nouvelle législature. Le discours du roi était d’autant plus attendu que les perspectives économiques du pays sont préoccupantes, comme n’ont eu de cesse de le répéter la banque centrale, la Cour des comptes, le Conseil économique, social et environnemental, la Banque Mondiale, etc. Tous les représentants de ces institutions se sont époumonés longtemps, sans que personne ne réagisse. Le roi n’a donc pas déçu sur la lucidité des propos tenus. Notre modèle de développement est à revoir, le roi en est conscient. Il ne va pas se contenter de dresser un tableau noir de la situation. Nous voilà rassurés. Quant à la scène politique, plongée dans une léthargie affolante, le roi dit attendre d’elle de l’audace, de l’innovation et de ne plus verser dans la complaisance.
Sur le papier, rien à y redire. Mais sur le papier seulement. Car ce discours de vérité, qui consacre l’approche participative et la reddition des comptes, est en décalage avec la perception qu’on a de la réalité. Le pouvoir sous nos cieux est partagé entre Palais et gouvernement. Ces deux corps, idéalement, devraient valser harmonieusement, sans que l’un piétine les pieds de l’autre. Ils peuvent se défier, se concurrencer, basculer vers un tango endiablé, mais toujours tous les deux conscients de leur nécessité. Pour que la bonne marche du pays soit assurée, la danse doit perdurer. Aujourd’hui, le Palais debout regarde une scène politique à terre et s’en émeut. Or, disons-le franchement, la responsabilité du Palais est engagée dans cette situation. Les acteurs politiques qui ne bénéficient pas de proximité avec lui ignorent totalement leur marge de manœuvre. Leurs initiatives personnelles peuvent parfois déclencher des sanctions irrationnelles, voire disproportionnées, qui les condamnent à l’apathie. Ceux qui bénéficient de la proximité avec l’entourage royal savent au service de qui ils sont. Et ce n’est pas devant les Marocains qu’ils s’estiment comptables, mais auprès de leur roi. Il y a les ministres du roi, ceux qu’on colore aux couleurs de tel ou tel parti au gré du vent, et les ministres à qui on a été forcé — par les urnes — de laisser un peu de place.
Ce système de deux poids deux mesures ne peut que générer des situations politiques difficiles comme celles que nous vivons. Très peu d’acteurs compétents, intègres et valables veulent s’enrôler dans ce jeu risqué. Le souverain a raison de souligner la nécessité de la reddition des comptes et de l’exemplarité. Mais jusqu’à quel étage s’applique-t-elle ? Nous n’attendons pas seulement de Saâd-Eddine El Othmani de rendre des comptes et de nous pondre une commission tous les deux jours. Ou de voir débarquer des boucs émissaires à cause de la crise d’Al Hoceïma, alors que nous savons déjà que les responsabilités sont complexes et à chercher aussi en dehors du gouvernement. La reddition des comptes ne se limite pas non plus à des polémiques sur l’attribution de tel ou tel marché public. Pour consacrer réellement ce principe, il faudrait d’abord que l’exemple vienne d’en haut. De ceux qui travaillent pour le roi, et de fait incarnent le pouvoir monarchique. Il ne devrait pas être possible de servir le roi et servir sa poche. Il ne devrait pas être permis de se constituer des fortunes alors qu’une haute mission est accordée. Certains s’y astreignent, d’autres pas. C’est surtout dans les entrailles de ce monde-là que l’opacité est la règle, et les enjeux conséquents. Le discours de Mohammed VI est important, mais il lui manque cette dimension-là.