Zakaria Boualem et le respect d'autrui

Par Réda Allali

Cette page a été inspirée à Zakaria Boualem par la lecture d’un débat fort intéressant, tenu sur Facebook. Il est tombé, au hasard de ses errements numériques, sur une vidéo qui présentait des groupes marocains de métal. Précisons à ceux qui ne sont pas familiers avec cet art qu’il s’agit d’une musique à haute densité énergétique, jouée en général très fort, basée sur des riffs de guitare puissants. Dans sa version extrême, elle intègre des vocaux gutturaux et des parties de batterie qui, il faut le reconnaître, peuvent rappeler aux néophytes de lourds travaux de construction réalisés sur la voie publique en plein embouteillage. Le tout interprété par des musiciens en noir, c’est le dress code du genre, qui inclut également une préférence pour une imagerie assez lugubre.

Il faut préciser aux plus jeunes qu’en 2003, quatorze de ces musiciens avaient été accusés de satanisme, sur la seule base de ce dress code. Ils avaient dû affronter les questions hallucinantes d’un juge respectable qui leur demandait sérieusement la nature de leurs relations avec le Malin. Ils avaient été libérés après trois semaines de pression, c’est le temps qu’il a fallu pour convaincre notre brave système judiciaire du ridicule de la situation. Aujourd’hui, donc, notre glorieuse presse numérique récidive et s’amuse à faire de petits reportages vidéo sur ce qu’elle présente comme des monstres décérébrés, en prenant bien soin de garder au montage les moins brillants. Ils ont raison, les bougres, puisque ça génère du clic par paquets de cent mille. C’est la seule chose qui compte, aujourd’hui, le clic, et tous les moyens sont bons. Ils pourraient bien proposer de la pornographie très rapidement, les flux sont garantis. Sous le reportage proposé par ces obsédés du clic, une masse de commentaires spectaculaires suggérant une punition exemplaire pour les musiciens. Les plus modérés proposaient la prison à vie, les autres imaginaient avec délectation des châtiments corporels allant de la simple décapitation à des choses qu’il est impossible de retranscrire ici sans basculer dans le pénal. Longtemps, Zakaria Boualem a moqué la capacité des Marocains, lui compris, à proférer des phrases sans rapport avec leurs actions, à donner des leçons, à faire la morale. Il suffit de lire les statuts de tout le monde pour s’en rendre compte. Tout le monde trouve que tout le monde se comporte mal, c’est un paradoxe extraordinaire de la mathématique des ensembles. Le Marocain, quand il parle des Marocains, parle de tous les Marocains sauf de lui. Mais en général, on reste dans le domaine du verbe. A la lecture des commentaires sur les métalleux, le Guercifi s’est félicité de cette incohérence. Parce que si nous passons à l’action, les amis, c’est la guerre civile.

Facebook fourmille de braves gens qui, en toute décontraction, proposent la lapidation, le viol, la décapitation pour des musiciens, des buveurs de bière ou tout simplement des femmes. C’est affreux mais c’est logique. Rien dans notre système éducatif ne nous prépare à accepter la différence. A aucun moment un jeune Marocain n’est invité à respecter l’autre s’il ne lui ressemble pas. On lui martèle au contraire un peu partout que cette brebis égarée est le danger, qu’il faut remettre les égarés dans le droit chemin, ou à défaut les éliminer, parce qu’ils sont les germes de la fitna. C’est ce que disent nos journaux, nos manuels scolaires, nos policiers, nos lois… Le fantasme collectif, c’est d’être tous pareils, nous avons une sorte de passion pour l’unanimité. Un type qui n’écoute pas de la pop arabe comme tout le monde ne devrait pas exister, voilà où nous en sommes. Et on fournit aux gens l’intégralité de l’arsenal idéologique pour appeler à leur extermination. Rien dans notre parole officielle ne vient défendre l’idée qu’il puisse exister une liberté individuelle. On peut à la limite la tolérer si elle ne s’exprime pas trop fort, ce qui n’est pas le cas pour les fans de métal, dommage pour eux. D’où la conclusion, implacable : le MarocModerne sarl est mal barré, et merci.

Par Reda Allali