Fatym Layachi- Modernité bancale

Par Fatym Layachi

Ce week-end va a priori être très différent de ceux que tu as l’habitude de passer. Pas de folle soirée de prévu, pas de glande avec Zee ni même de déprime devant des séries. Ce weekend, tu vas faire six cent cinquante kilomètres de route avec tes parents pour rendre visite à un oncle âgé et fatigué. Ça fait tellement longtemps que tu n’as pas été là-bas que tu es ravie de faire une activité surprenante pour une fois. Après la route, les pauses pipi, les grillades et le pain Tafernout à la station Afriquia, vous finissez par arriver.

L’entrée de la ville a bien changé. Des barres d’immeubles ont pris la place de ces allées de grands arbres. Ta mère se souvient avec nostalgie de ces fermes qui bordaient la nationale, elle se rappelle de ce restaurant, elle revoit le lycée de jeunes filles où elle a étudié et dont il ne reste pas grand chose qui fasse rêver. Tu l’écoutes décrire la ville de son enfance. Tu regardes autour de toi, il n’y a pas grand-chose qui t’émerveille. Alors, bien évidemment que tu ne vas pas tomber dans ce pathos qui regrette un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, ou dont ils n’ont peut-être même jamais entendu parler. Cela dit, tu ne peux pas t’empêcher de penser que ce n’était peut-être pas forcément mieux avant, mais que c’était sûrement plus joli. Le patrimoine architectural du plus beau pays du monde est vraiment magnifique. Toi, quand tu regardes les constructions et l’habitat traditionnels, tu les trouves sublimes. Et tu n’es pas la seule visiblement, vu le nombre de bouquins édités aux quatre coins du monde à ce sujet. Mais le truc que tu n’arrives absolument pas à comprendre, c’est comment on a pu passer du raffinement extrême au kitsch le plus scabreux. Là, tu es dans une ville où il fait chaud neuf mois par an, et autour de toi pullulent les immeubles en verre. Des immeubles en verre ! On aura beau te faire de grands discours théoriques sur le design, la modernité ou d’autres choses sans doute très intelligentes, tu n’arrives pas à comprendre le concept des immeubles en verre ici et maintenant. Dans un pays où le taux d’ensoleillement est aussi élevé, à part être un encouragement à allumer la clim toute l’année, tu n’en vois pas trop l’intérêt. Et puis, les arbres semblent disparaître du paysage urbain. L’immobilier ça on sait faire, l’urbanisme visiblement beaucoup moins. Des immeubles poussent les uns à côté des autres, sans grande cohérence.

C’est à se demander si quelqu’un est en charge quelque part de l’harmonie globale de la ville. Quand tu regardes autour de toi, tu es convaincue que non. Pourtant, ça devrait être important l’harmonie, ne serait-ce que pour le confort visuel. Mais quand tu vois cette peinture en faux crépis brillant à l’extérieur et le faux stucco en intérieur, tu as un peu l’impression que tout part à vau-l’eau. Certes, tu veux bien admettre que les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Mais là, il te semble que ce n’est pas de subjectivité dont il est question mais de bon sens. Et apparemment, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, en tentant de se moderniser, on a perdu pas mal de bon sens. On a une culture, des traditions, un patrimoine. Et on en fait quoi ? Pas grand-chose. On détruit des immeubles à la valeur muséale. On les remplace par des constructions mal pensées, mal isolées et mal finie