L’automne démarre. Ton bronzage a perdu son éclat. Tu as coupé les pointes brûlées et blondies de tes cheveux. Tu te réveilles de mauvaise humeur. Tu commences à sombrer dans ta dépression saisonnière et chronique. Tu te poses des questions existentielles. Tu te dis qu’il serait temps de commencer à grandir, à prendre ta vie en main. A cesser de te retrouver systématiquement dans des plans foireux et des histoires scabreuses. A commencer à construire des choses et à penser à l’avenir. Bien évidemment tu n’as aucune idée de la manière dont il faudrait s’y prendre. Et ce n’est pas cette légère gueule de bois que tu traînes qui va t’aider à te sentir plus responsable. Alors tu décides d’aller courir.
A défaut de prendre le temps d’essayer de répondre à des questions existentielles, tu vas te contenter d’éliminer des toxines. Ce qui est déjà pas mal vu ton état vaseux. Tu enfiles un jogging et une paire de baskets, visses tes écouteurs dans tes oreilles, enclenches une playlist qui te met de bonne humeur et tu te lances. La scène pourrait être follement cinématographique et il faut reconnaître que tous ces palmiers en bord d’océan ont un fort potentiel instagrammable. La réalité est nettement moins chatoyante. Tu as couru quarante minutes, brûlé cinq-cent-soixante calories. Mais surtout tu as vu le pire de tes compatriotes de sexe masculin. Pas un mec qui ne t’ait pas dit un truc. Pas un ! C’est quand même dingue. Tous les mecs dont ta course a croisé le regard t’ont fait une remarque. Du compliment au sifflement en passant par les remarques graveleuses et les insultes, pas un n’a fermé sa gueule à ton passage. Et quand tu passes devant un café, là tu as carrément l’impression d’être une biche lâchée au milieu d’un troupeau de hyènes. Tu décides de changer de trottoir. Ce n’est pas mieux. Même la traversée de la chaussée s’est avé- rée une discipline olympique. Entre l’automobiliste qui te klaxonne, le mec à moto qui tente carrément de te mettre une main aux fesses ; tu commences à te sentir de plus en plus sale. Ce qui est assez paradoxal tout de même. C’est eux les dégueux. Toi tu es sortie faire un footing. Tu as beau essayer de chercher une explication, même la plus tordue ; il n’y en a pas. Et à celui qui essayera de chercher un commencement de réponse dans ton éventuelle tenue vestimentaire, tu as très envie de lui balancer tes Nike à la figure. Non, il n’y a aucune explication logique. Il te suffit d’être dans l’espace public pour que tes congénères qui pissent debout soient persuadés qu’ils ont le droit de te parler.
Pourquoi ? Juste parce que tu es une femme. Et visiblement c’est un événement remarquable. Tu ne peux pas juste exister. Tu es regardée, jugée, désirée ou rejetée, mais ta simple présence suscite une réaction. C’est assez délirant. L’espace public ne t’appartient pas. Pourtant, tu paies autant d’impôts que tes compatriotes à testostérone. Alors tu estimes que tu devrais avoir droit à un minimum de tranquillité quand tu marches sur ce goudron pour lequel tu paies des taxes. Tu rentres chez toi. Tu as très envie de prendre une douche et ce n’est pas que ta transpiration que tu as envie de laver. Tu envoies un texto à Zee pour qu’elle te rejoigne. Tu veux rester enfermée à mater des séries qui se passent très loin de chez toi. Ce n’est pas aujourd’hui que tu vas commencer à mieux gérer ta vie. Et puis, de toute façon, à quoi bon ? Quoi que tu fasses dans le plus beau pays du monde, tu restes un être mineur