Notre croissance est meilleure que celle des pays européens. Notre situation politique n’a rien à envier à l’Algérie ou la Libye. Tous les indicateurs sont bons. Notre modèle est le bon. Même en répétant en boucle ces arguments devenus ineptes, en y mettant toute la conviction du monde, personne n’y croit plus. Même pas ceux qui les disent. Ces arguties ne suffisent plus à cacher la réalité : le Maroc est inquiet. Ses dirigeants le sont tous, sauf ceux qui bénéficient de la collusion à outrance entre les pouvoirs économiques et politiques. Pas étonnant qu’ils soient les plus taiseux, de peur d’attirer les regards sur un mélange des genres qu’ailleurs on ne tolère plus. Cet ailleurs démocratique et avancé vers lequel nous voulons voir notre pays évoluer. Le secteur privé frémit et n’a pas confiance — il investit peu. La haute administration navigue à vue. Le premier ignore quelle est la vision des décideurs pour les années à venir. La seconde se plaint de ne même pas avoir d’interlocuteur, de ne pas être informée de décisions majeures, jusqu’à souvent en ignorer les raisons et les implications. Les témoignages que nous récoltons quotidiennement auprès des patrons, des hauts fonctionnaires, des “petites mains” de ce pays disent tous le malaise qui s’est installé. Cette inquiétude latente, qu’il ne faut plus taire.
Il y a bien une ancienne génération de hauts commis de l’Etat qui alertent, même publiquement, car leur “avenir est derrière eux”, comme nous confie l’un d’entre eux. Et puis aussi, concédons-le, car leur éthique de travail le leur dicte. Travailler pour l’Etat, c’est aussi le regarder dans le blanc des yeux et l’avertir des maladies qui le rongent. Mais leurs diagnostics de médecins expérimentés ne trouvent pas assez d’écho en haut lieu. Et puis il y a les autres, les plus jeunes, qui doivent bâtir une carrière ou une fortune et se rapprocher d’un tel ou d’un autre pour arriver au poste qu’ils convoitent, voire pour se rapprocher du soleil. Ces derniers pensent qu’il faut présenter une belle mariée, flatter, faire quelques petites opérations pour embellir les chiffres, par exemple. Inconscients, ils contribuent à enliser le Maroc dans des sables mouvants.
Il faut aimer viscéralement son pays pour ne pas se taire aujourd’hui. Le royaume a besoin de responsables courageux et honnêtes. Et il a besoin de la présence de son chef d’Etat, de sa vision et de son leadership. Quand Mohammed VI a décidé de faire du continent sa priorité, il en a sillonné la plupart des pays, même les plus hostiles au Maroc. Jamais nous n’aurions remporté de telles victoires diplomatiques sans son implication personnelle. Il suffisait d’être présent le 31 janvier dernier dans la salle plénière du siège de l’Union africaine à Addis-Abeba pour saisir l’aura du roi. C’est maintenant sur le front interne, à “la maison”, dans “le foyer aimé”, qu’une impulsion est implorée.