Donnons-lui sa chance

Par Aicha Akalay

Pour beaucoup, il est arrivé au pouvoir par un malheureux hasard. Saâd-Eddine El Othmani n’était pas destiné à diriger le gouvernement après les élections d’octobre 2016. Certes, son parti a été adoubé par les urnes, mais c’est surtout le charisme et la gouaille du secrétaire général Abdelilah Benkirane qui avaient ravi les électeurs. Les longs mois de blocage qui ont suivi les résultats des élections ont ensuite terni les espoirs démocratiques. L’obstination de Benkirane face à un Palais dominant n’a rien donné de bon. Alors, la nomination du très discret numéro 2 du PJD à la tête de l’Exécutif ne pouvait que susciter critiques acerbes et désenchantement. SaâdEddine El Othmani a fait preuve de résilience. Il s’est tu pendant quatre mois. Une période durant laquelle ses rares sorties médiatiques l’ont surtout desservi, comme la faute commise sur le dossier du Hirak, où sa majorité s’est empressée de qualifier certains manifestants de séparatistes. Puis il a reconnu son erreur, fait rare chez nos responsables publics. Aujourd’hui, dans nos pages, il affirme même ne pas se réjouir des nombreuses arrestations dans le Rif. Et, surtout, après 120 jours à la tête du gouvernement, il se ré- vèle à nous, médias et citoyens, lors d’une opé- ration de com’ réussie.

Les compliments d’abord, car il y en a. Le docteur El Othmani sait écouter et gérer son égo. Il ne parle que rarement à la première personne et n’oublie jamais ses fonctions, plus importantes que ses états d’âme. Son bilan est celui d’une équipe, pas d’une personne, n’a-t-il cessé de marteler. C’est un Chef de gouvernement conscient de ses responsabilités et de ses devoirs que nous avons eu face à nous. Il ne sous-entend rien, n’est pas friand du off, d’autant plus qu’il accorde des interviews sans grande difficulté et sans exiger de préparation préalable. Aucune question n’est éludée, même celles relatives à ses relations avec le Palais. Il ne faut pas se mé- prendre, s’il est impossible de décrocher à El Othmani des déclarations fracassantes, ce n’est pas parce qu’il a peur de défendre ce qu’il pense, mais surtout parce que l’homme est mesuré et réfléchi. Son ADN est ainsi fait. S’il dit entretenir des relations apaisées avec le Palais, nous comprenons surtout qu’une distance est respectée. Difficile de l’imaginer pré- tendre à de la familiarité.

Les attentes ensuite, et elles sont nombreuses. Au-delà de la personnalité, de son style et de sa méthode, que nous n’avons même plus envie de comparer à ceux de son prédécesseur — un autre bon point marqué par sa com’ —, SaâdEddine El Othmani doit rencontrer les attentes importantes des Marocains. Il est un Chef de gouvernement aux compétences économiques beaucoup moins importantes qu’un Driss Jettou, dont le gouvernement a lancé les principaux chantiers économiques du Maroc de Mohammed VI. Ce n’est pas un génie de la politique comme Benkirane, grâce à qui la représentativité du peuple a évolué. Que va donc nous proposer Saâd-Eddine El Othmani ? Son échec ou sa réussite dépendent du chef d’orchestre qu’il sera. Et nous ne le savons pas encore. Nous le souhaitons moins soumis qu’un Abbas El Fassi. S’inscrivant dans une logique de coopération, voire de concurrence, avec le Palais, comme le préconise le politologue Mohamed Tozy. Nous le rêvons plus à l’écoute que son prédécesseur des enjeux économiques de son pays. Mieux conseillé. Nous espérons qu’il ne reste pas muet si des conflits d’intérêts entachent sa majorité. En attendant, il vient enfin d’arracher plus de bienveillance médiatique, et ce n’était pas gagné.