Zakaria Boualem is back, les amis. Bronzé, affûté et souple sur ses appuis, il aborde glorieusement cette nouvelle saison, prêt à assumer la fonction qu’il s’est attribuée tout seul, celle d’inspecteur des travaux d’avancée de construction du MarocModerneSarl. Si notre homme est aussi fringant, c’est qu’il s’est abstenu, le bougre, de consulter le moindre réseau social pendant ses vacances, l’expérience a parfois du bon. Hélas, pour reprendre ses fonctions, il a été contraint d’allumer son ordinateur et il a découvert que les Marocains, les pauvres, avaient passé leur été à commenter des affaires scabreuses, des histoires de zoophilie, de viol dans les autobus, d’agressions à l’arme blanche, et de viande de mouton verte. C’est affreux, on se croirait dans un film de zombies. Pour chacune de ces affaires sordides, des centaines de commentaires alarmistes, une prose qui donne envie de déguerpir à vive allure, sans demander son reste de points CIMR. Il semblerait que nous ayons collectivement pris conscience d’une triste évidence, à savoir la spectaculaire dégradation de notre espace public, de nos services publics, ajoutée à la dissolution de la morale publique, engloutie dans des eaux boueuses, qu’on préfère ne pas décrire pour éviter les problèmes.
Zakaria Boualem se souvient que lorsqu’il tenait ce genre de discours, lorsqu’il décrivait les ténèbres dans lesquelles nous plongions collectivement, lorsqu’il ironisait sur les plans stratégiques et les commissions penchées, il était taxé de nihiliste. Les patriotes exhibaient des drapeaux pour le faire taire, et les rappeurs entonnaient avec abnégation des refrains en langue de bois pour lui expliquer combien nous étions glorieux. Aujourd’hui, même les plus nationalistes d’entre nous nourrissent des doutes quant à notre capacité à organiser une Coupe du Monde, que nous réclamons pourtant pour la cinquième fois. Avant d’accueillir les supporters du monde entier, on se demande s’il ne serait pas plus judicieux pour le MarocModerneSarl de se fixer comme objectif d’essayer d’accueillir les Marocains. Voilà où nous en sommes, les amis, ce n’est pas brillant.
Mais il faut se révolter contre cette sinistrose, il est impossible d’aborder une nouvelle saison dans un état d’esprit aussi négatif. Tout le monde a besoin d’un minimum d’estime de soi, et c’est Zakaria Boualem lui-même qui va sans plus attendre vous fournir dans les lignes qui suivent un motif de fierté légitime. Oui, nous sommes capables de réaliser de grandes choses, jugez-en vous-même.
En à peu près quatre heures, la semaine dernière, nous avons réussi à abattre quelque six millions de moutons, nous les avons dépecés, nous avons grillé leurs têtes et lavé leurs abats pour les préparer dans la foulée, nous avons grillé leurs foies aromatisés, nous avons recyclé leurs peaux, et nous avons mangé à l’heure, le plus souvent en recevant de la famille. C’est un exploit logistique, notre débarquement de Normandie à nous. Vous n’avez pas entendu parler d’une ville où les bouchers faisaient défaut, d’un quartier privé de charbon ou d’un problème de disponibilité de couteaux. Toutes les chaînes d’approvisionnement fonctionnent parfaitement, c’est un véritable élan national. Le tout dans l’informel le plus joyeux, voilà où nous excellons. S’il avait fallu qu’un ministère du mouton nous organise tout cela, je vous laisse imaginer tout seuls le nombre de commissions et l’ampleur du désastre. Aujourd’hui, on leur demande juste de ramasser les ordures et c’est le seul point noir de ce projet titanesque.
Voilà, Zakaria Boualem ne sait pas exactement ce qu’on peut conclure de cet exemple, ni si ce modèle est transposable ailleurs, mais il lui a semblé impor- tant de démontrer que notre capacité d’organisation collective n’était pas aussi nulle que le prétendent les ennemis de la nation. C’était sa contribution au débat national cette semaine, c’est tout, l’année va être longue, et merci.