Ça y est, c’est la rentrée. Après tout ce temps passé à peaufiner ton bronzage les doigts de pieds en éventail, il fallait bien retourner bosser. Il fallait retourner dans la vraie vie. Tu as passé un très bel été, comme tous les ans cela dit. Tu as passé près d’un mois en famille en bord de mer, avec son lot de prises de tête avec ta mère, de déjeuners qui durent des heures et de débats houleux avec tes oncles. Puis tu as passé une semaine à faire la fête avec Zee et d’autres potes sur une île en Méditerranée. Tu t’es promenée en bateau, tu as bu trop de cocktails, tu as loué un scooter, tu as embrassé un Grec qui devait probablement s’appeler Yanis et tu as exhibé tes gandouras colorées. Et là, ça y est, tu es de retour. Tu reprends pied avec la réalité et avec ce qu’il s’y passe.
Même si tu as passé la plupart du temps enfermée dans ta jolie bulle, tu ne peux pas ne pas constater que le plus beau pays du monde a été follement animé cet été. Il s’en est passé des choses. Il y a eu des drames, des scandales, des révoltes, des injustices et des statuts Facebook pour commenter tout ça. Et toi, spectatrice de l’actualité, tu en as vu passer des images. Des choquantes, des révoltantes, des insoutenables, des effarantes. Certaines t’ont donné envie de pleurer, d’autres de crier. Certaines t’ont fait peur, t’ont donné envie de vomir. Ce qui est fascinant avec ce pays, c’est le nombre d’émotions diverses qu’il peut te procurer pour peu que tu t’intéresses à ce qu’il s’y passe. Mais après tous ces ascenseurs émotionnels, ce qu’il te reste, c’est la tristesse. Tu as beau crier, débattre, t’indigner, il reste toujours un arrière-goût de tristesse. Alors voilà, c’est la rentrée et tu es triste. Triste d’en arriver à te dire qu’être une femme dans l’espace public est un acte quasiment militant. Triste de voir que ce pays a peur de sa plus grande richesse : sa jeunesse. Triste de voir que l’impunité est toujours d’actualité quand il s’agit de corruption et d’histoire de gros sous. Triste de voir une génération d’affairistes sans morale s’enrichir en arnaquant de pauvres gens qu’ils parquent dans des logements qui n’ont de social que le nom. Triste de voir ces mêmes affairistes se racheter une conscience en construisant des mosquées. Triste de voir que personne n’a suffisamment de fibre patriotique pour construire des écoles.
Triste de voir tes potes se draper de nationalisme primaire à chaque article étranger qui égratigne l’image du plus beau pays du monde. Encore plus triste de constater qu’aucun de ces patriotes de salon ne paye ses impôts. Triste de voir de plus en plus de gens se trimballer avec un chapelet à la main et de moins en moins de gens faire preuve de compassion à l’égard de son prochain. Triste de voir que l’Histoire se réécrit à la lueur macabre des lampes à pétrole. Triste d’allumer la télé nationale et de constater l’immense décalage entre la réalité et la mise en scène. Triste de voir l’état de saleté des rues. Triste de te demander à quoi servent tes impôts. Triste de constater que le conservatisme austère a pris la place du traditionalisme. Triste de voir que les véritables traditions se meurent à petit feu, que les tatouages s’effacent à l’acide sulfurique. Triste de n’avoir aucun organe étatique où exprimer ta colère. Triste de constater le manque de bon sens à chaque niveau de l’Etat. Et la liste est tellement longue que tu préfères appeler Zee. Tu veux noyer ta tristesse avec beaucoup de glaçons. Demain rien n’ira mieux mais, en attendant, tu vas essayer de t’endormir avec la tête qui tourne.