Il fait très lourd en ce moment. Tu te sens poisseuse en permanence. Le taux d’humidité dans l’air est comparable au taux d’inactivité de ta famille pendant l’été. Et pour ta plus grande joie, ce mercredi matin, tu vas avoir encore plus chaud que d’habitude. Tu as un papier à aller récupérer à la moqataâ. Le genre de galère dont tu aimerais bien te passer. Mais bon, il se trouve que tu as eu la glorieuse idée de perdre ta carte d’identité et plein d’autres choses importantes sur une terrasse pendant que le rosé te faisait oublier jusqu’à ton prénom. La soirée était donc géniale, les conséquences beaucoup moins : refaire ses papiers ne fait définitivement pas partie de tes activités favorites. Et comme c’est l’été, les personnes que tu envoies s’occuper de ce genre de choses sont en vacances elles aussi. Tu vas braver l’administration toute seule.
Te voilà donc en jean et en chemise à manches longues boutonnée jusqu’au col, prête à te lancer dans un marathon administratif avec toute la décence vestimentaire que ce genre d’activité requiert. Avant même de savoir exactement ce que tu dois faire, quel document tu dois fournir, tu te retrouves à errer telle une héroïne désabusée, transpirante et crevant de chaud, dans des couloirs sinistres. Le bâtiment est plutôt joli, vestige d’une architecture qui ne se fait plus, mais dans un tel état que tu es convaincue que la dernière fois que la plomberie a été vérifiée, la Marche Verte n’avait pas encore eu lieu. Très souvent, quand tu vas dans un de ces bâtiments à l’architecture sublime et à l’entretien vétuste, tu te sens triste. Pourquoi accorde-t-on si peu d’importance à notre patrimoine ? Sommes-nous à ce point résolument tournés vers l’avenir ? Mais quand tu vois à quoi ressemblent les bâtiments soidisant modernes, tu te demandes quel est le projet. On aurait peut-être mieux fait de rester dans l’architecture ultra-traditionnelle, il faut bien reconnaître que ces immeubles en verre et marbre sont tout sauf harmonieux. Enfin bon, tu t’égares. Tu n’es pas là pour constater l’échec des projets urbanistes du plus beau pays du monde, mais plutôt les dédales sinueux de son administration. Tu ne vas même pas t’étendre sur l’absurdité de la légalisation du certificat de vie. L’intitulé est suffisamment révélateur. Te voilà donc dans un truc que tu n’appelleras pas une queue étant donné l’aspect non linéaire de la chose, mais un truc avec plein d’autres gens devant un guichet. Un type est derrière un guichet. Mais il ne reçoit pas les gens. Il a les yeux baissés et l’air occupé.
Ce guichet n’est pas forcément le bon, mais comme il n’y a pas d’informations, tout le monde est là. Vous attendez quoi au juste ? Attendre Godot semblerait moins farfelu. En gros, vous attendez qu’un type dont l’hygiène de la moustache semble aussi douteuse que son sens de la rigueur daigne vous lancer un regard. Il finit par s’exprimer en bougonnant. Il vient de “rentrer de congé et il y a déjà trop de problèmes.” Du coup, il engueule le brave type de vant lui qui finit par s’excuser d’être là pour réclamer un papier auquel il a droit. C’est assez surréaliste de réaliser qu’un type qui est payé par tes impôts te traite comme une moins que rien et se comporte comme s’il te faisait une faveur. Et personne n’ose râler. Donc toi non plus. Tu finiras par perdre toute ta journée pour ne pas avoir tout ce qu’il te faut et te sentir assez éloignée de la notion de service public. Forcément, tu seras super énervée et même tentée de comprendre les gens qui trichent pour ne pas payer d’impôts.