C’est l’été les amis. Le Boualem est en short, et il tente d’abandonner ses éternels grognements pour vous proposer une prose légère et guillerette, sémillante et folâtre, digne du plus beau pays du monde tbarkellah. Pour ce faire, il s’est rendu à la plage en repérage, à la recherche de vibrations positives et l’esprit plein de sacrifice, pour vous entretenir ici même de cette expérience estivale. Vous le savez sans doute, notre homme fréquente très peu les plages. La surabondance de bipèdes hystériques confinés dans un endroit restreint et gesticulant avec enthousiasme, c’est quelque chose qui constitue pour lui l’exact opposé de sa notion de détente. Mais vous connaissez sa rigueur, il fallait qu’il confronte cette position de principe aux nouvelles réalités de l’été 2017.
Dimanche dernier, donc, notre homme a passé l’après-midi à la plage. Le bonheur a commencé dès son arrivée en voiture. A la vue de la Zakariamobile, ils étaient nombreux à l’accueillir avec de grands gestes pour lui proposer une place de parking. La méthode est étonnante, ils surgissent sur la chaussée avec autorité, agitent les bras avec vigueur comme s’il s’agissait de protéger le conducteur d’un grand danger, puis réclament un prix venu du ciel sans cligner des yeux, vous connaissez l’affaire. Cette difficile étape franchie dans la douleur, le Boualem a enfin débarqué sur la plage et c’est là qu’il a constaté qu’elle avait disparu. Oui, les amis, il n’y a plus de plage. Elle a été remplacée par une spectaculaire accumulation de tables en plastique, de chaises, de parasols, de restaurants improvisés et autres commerces divers. Pour trouver une densité comparable, il faut sans doute chercher en prison.
À quelques mètres de l’eau, on ne la voit pas, c’est étonnant. Le Guercifi, n’écoutant que son courage, s’est dirigé vers l’océan, au jugé. Il a donc dû slalomer à travers les tables, ignorant les interjections de ceux qui voulaient lui louer un parasol ou une chaise, lui vendre un tagine ou une glace, une bouée ou deux, et lorsqu’il a senti ses pieds mouillés, il s’est dit qu’il était arrivé. C’est là qu’il a découvert qu’il était en danger.
Pris entre les feux croisés de deux matchs de foot et trois échanges de tennis, tous joués avec l’intensité d’un Grand Chelem. Il a donc plié bagage – qu’il n’avait pas déplié d’ailleurs – et il est rentré chez lui à vive allure, en se demandant comment, dans notre pays qui compte 3.500 kilomètres de côtes, on a pu s’entasser comme ça. Dans la foulée, il s’est demandé si cette arrivée massive de commerces informels dans l’espace public était normale. Il y a la plage, bien sûr, mais il y a aussi la masse absurde de ferrachas qui envahissent les rues sous l’œil bonhomme de nos autorités, et plein d’autres exemples que vous pouvez trouver tout seuls. Il paraît que c’est le prix à payer pour la paix sociale.
Apparemment, aujourd’hui, tout est autorisé chez nous, à part manifester à Al Hoceïma. Il faut préciser que Zakaria Boualem n’est ni un touriste suédois, ni le produit d’une caste supérieure un peu déconnectée. Toute sa vie, il a évolué dans le chaos national avec souplesse et philosophie, il en faut beaucoup pour le surprendre.
Il vous le dit pourtant aujourd’hui : nous sommes passés à la vitesse supérieure, les amis. Ceux qui nous expliquent que nous devrions éradiquer l’informel se moquent de nous : il serait plus logique, au point où nous en sommes, de lutter contre le formel tant il semble incongru dans notre paysage urbain.
Des chaînes économiques anarchiques s’improvisent chaque jour, des intermédiaires surgissent des ténèbres, des marges s’abattent sur nos épaules, des taxes sans valeur ajoutée se multiplient, c’est la jungle, et merci. Telle est notre réalité, celle d’un système où l’anomalie s’impose avec la force d’une évidence, et où la règle semble inapplicable dans la masse inextricable des problèmes que nous avons laissé pourrir. Voilà où nous en sommes, c’est tout pour la semaine, et merci.