Le mardi 25 juillet, à l’issue de 15 heures de procès au tribunal de première instance d’Al Hoceima, le verdict tombe : le journaliste Hamid El Mahdaoui est condamné en vertu du Code pénal à trois mois de prison ferme et 20.000 dirhams d’amende. Accusé d’avoir incité à une manifestation interdite, il avait été arrêté le 20 juillet à Al Hoceima.
La veille au soir, une vidéo transmise en direct du chef-lieu du Rif le montrait échangeant avec une dizaine d’habitants, vilipendant tour à tour le manque d’indépendance de la justice, le rétrécissement des libertés, la répression… « Il y a des policiers criminels, il y a des juges criminels, il y a des gendarmes criminels, mais il y a aussi des policiers, des juges et des gendarmes honnêtes. C’est ça la vie, chers Marocains« , résume-t-il en nuançant à sa manière.
« Journaliste-militant assumé »
Un membre de l’assistance l’apostrophe: « Vous êtes-vous rendu à Al Hoceima en tant que citoyen ou en tant que journaliste?« . Ce à quoi El Mahdaoui répond promptement: « En tant que citoyen, journaliste et militant« . La suite de son discours illustre sa réponse. « Si réclamer la libération des détenus, des hôpitaux, des routes, ou des usines conduit en prison, alors on veut être des martyrs et pas seulement des prisonniers« , lance le directeur du site Badil.info à la fin du live, citant des vers d’al-Mutanabbi.
Décrié et raillé par certains, loué par d’autres, Hamid El Mahdaoui se réclame d’un « journalisme militant assumé », selon le journaliste Khalid Jamai, ami du détenu. D’Aziz Akhannouch à la DGSN, en passant par Mustapha Ramid ou Abdelouafi Laftit, ses harangues enflammées n’épargnent ni dirigeant ni institution. Depuis le lancement de son site en 2014, il a été poursuivi à maintes reprises pour insultes et diffamation.
La méthode El Mahdaoui
Le 11 juin, alors que des dizaines de milliers de manifestants battaient le pavé à Rabat pour réclamer la libération des détenus du Hirak, Hamid El Mahdaoui est dans son élément. Face caméra, il fulmine, dans son style habituel, contre la hogra, l’impunité, la justice… les éternelles causes de ses dénonciations.
« Nous sommes là pour dire Mamafakinch [nous ne lâcherons pas l’affaire]. Personnellement, je ne suis pas contre la monarchie, car j’ai la conviction qu’elle a encore des rôles à jouer (…) Mais je suis en colère contre la monarchie et c’est mon droit, car le roi n’est pas Dieu dont la parole n’est pas discutable« , s’indigne El Mahdaoui, l’air dépité.
S’adressant toujours à Mohammed VI, il dévie sans transition du sujet de la manifestation, et aborde pêle-mêle la polémique sur les déchets italiens, la prostitution, délinquance, caisses noire, etc. Le tout se déroule sous les « Vive Mahdaoui » scandés par les fans de son show.
Lancée en 2011, sa chaîne YouTube, qui compte près de 100.000 abonnés et cumule 36,5 millions de vues, est alimentée par une centaine de vidéos du même genre. Au fil des années, l’homme est devenu l’un des journalistes les plus célèbres au Maroc, ce qui n’a pas manqué d’exacerber le clivage autour de sa méthode jugée courageuse par certains et populiste par d’autres. « Je ne suis pas du tout d’accord sur la manière, mais je trouve qu’il a le droit d’innover« , sourit son ami Khalid Jamai.
Les procès s’enchaînent
En juin dernier, le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, portait plainte contre Hamid El Mahdaoui « suite à la publication par ce dernier d’une vidéo comportant un flot d’accusations de corruption et de propos portant atteinte à la dignité du ministre« , relatait l’agence de presse MAP, citant l’avocat Mohamed El Husseini Kerrout.
Ce dernier, inscrit au barreau de Rabat, soulignait dans son propos « la nécessité de respecter la limite entre travail journalistique et les propos destinés à exercer une influence ou ceux diffamatoires ou offensants comme stipulé par le Code de la presse et le Code pénal, soulignant l’importance de veiller à accomplir la mission noble d’information dans le cadre de la déontologie« .
Une année plus tôt, quasiment jour pour jour, le directeur du site Badil.info avait été condamné par le tribunal de première instance d’Aïn Sebaâ, à Casablanca, à quatre mois de prison avec sursis et une amende de 10.000 dirhams à l’issue d’un procès intenté par Mustapha Ramid. El Mahdaoui avait accusé celui qui était à l’époque ministre de la Justice de bénéficier « d’importantes indemnités » lors de ses déplacements au Maroc.
Quelques jours après le verdict, il commentera ainsi le procès dans les colonnes de TelQuel: « Toutes les conditions n’étaient pas réunies pour que la justice soit impartiale. Comment un procureur, dont le chef n’est autre que le ministre de la Justice, peut-il être indépendant? En somme, c’est une condamnation politique où le ministre tente de me faire taire« . En 2015 encore, El Mahdaoui écopait d’une peine de quatre mois avec sursis pour avoir accusé la police de torture.
Parcours d’un trublionNé en 1979 dans milieu modeste, Hamid El Mahdaoui « s’est beaucoup bagarré pour arriver là où il est aujourd’hui », nous explique Khalid Jamai. Étudiant de sensibilité marxiste, il obtient sa licence en littérature arabe en 2004. Mais comme la littérature arabe ne nourrit pas son homme, le futur journaliste cherche son gagne-pain comme vendeur à la sauvette (ferrach) en attendant des jours meilleurs. Multipliant les petits boulots, il obtient en 2010 un diplôme de journaliste à l’Institution des professions de journalisme et de la télévision. Ce n’est qu’en 2012 qu’il signe, en tant que journaliste, ses premiers articles dans l’hebdomadaire arabophone Al Ousboue Assahafi. Une expérience qui tourne court, car en 2013 il collabore avec le site Chouf TV. Il n’y officiera que quelques mois, avant de prêter sa plume au site d’information Lakome, étape décisive dans sa carrière. Aussitôt que le site dirigé par Ali Anouzla est fermé, El Mahdaoui crée en 2014 son propre journal électronique Badil.info, dont la gérance est confiée à son épouse et collègue Bouchra El Khounchafi .[/encadre] |
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