Fatym Layachi - Silya, la patriote

Par Fatym Layachi

Tes vacances démarrent dans quelques jours. Tu as fait un peu de shopping estival. Tu as craqué pour quelques gandouras idéales pour la plage, un chapeau peint à la main et plein de petits colliers colorés qui seront parfaits sur ta peau bronzée. Autour de toi, tout le monde est dans le même état d’esprit, entre valises, confirmation de réservations et échanges de bonnes adresses. La légèreté est au rendez-vous. Tu rêves d’apéros en terrasse, de balades en mer et de déjeuners qui durent des heures. Si la bulle dans laquelle tu vis était parfaitement hermétique, tu pourrais croire que tu mènes une vie de rêve dans un pays enchanté. Mais il se trouve que ce n’est pas le cas et que tu ne peux pas ignorer ce qui se passe pas si loin de toi. En effet, depuis quelques longues semaines, le plus beau pays du monde semble bouleversé.

Le Rif s’indigne et les salons paniquent. Toi, tu as l’impression que les revendications des uns sont légitimes et tu es absolument convaincue que les réactions des autres sont démesurées. Des militants sont arrêtés, des manifestants tabassés et les débats n’existent pas vraiment. Et puis, au milieu de ce vacarme, il y a cette jeune fille. Elle s’appelle Silya. Elle doit avoir vingt ans. Elle est jolie comme un cœur. Elle est chanteuse. Elle est en prison. Elle attend son procès. Son visage te hante. Tu veux bien avoir foi en la justice mais là, tu as vraiment du mal à imaginer comment son éventuel procès pourrait ne pas être inique. Procès pourquoi d’abord ? Pour avoir osé rêver ? Pour avoir osé chanter ses rêves d’un monde meilleur ? Parce que tu as beau ne pas comprendre grandchose, ne pas forcément être au courant de tout, il y a tout de même des choses qui te paraissent aberrantes. Qu’est-ce qu’on lui reproche à cette jeune fille ? Elle a fait des chansonnettes. Des chansonnettes dans lesquelles elle a mis ses rêves, ses colères, ses tristesses et ses révoltes. Elle a pleuré la mort de ce pauvre type broyé par un camion-benne. Elle a espéré que sa région aille mieux. Elle a dû se demander où est-ce que sa mère se ferait soigner le jour où elle tomberait malade. Elle s’est probablement demandé où elle enverrait son gamin à l’école le jour où elle en aura un.

Ne trouvant pas de réponses à ses questions cruciales, elle a dû pleurer. Mais elle n’a pas hurlé, elle a chanté. Et aujourd’hui, elle est enfermée et elle a l’air d’aller très mal. Même le directeur de la prison reconnaît qu’elle est en dépression. C’est dire ! Toi, encore une fois, tu ne comprends peut-être pas grand-chose. Tu sais juste que cette histoire est d’une tristesse sans nom. Mais surtout, on lui reproche quoi ? D’avoir chanté. D’avoir chanté que le peuple est majestueux. Toi, tu trouves ça beau et poétique. Et surtout, tu ne trouves pas que ce soit antinomique avec quoi que ce soit. Trouver son peuple majestueux, qu’on le veuille ou non, c’est du patriotisme. C’est avoir foi en son peuple, avoir foi en son pays. Être indigné, se révolter, vouloir rendre le monde meilleur, c’est du patriotisme. C’est aimer son pays et vouloir l’améliorer. Vouloir rendre le monde meilleur, c’est beau, c’est noble. Avoir peur d’elle, c’est être bien fragile. Avoir peur d’un ange qui rêve juste de dé- ployer ses ailes, c’est manquer cruellement d’assurance. Et un pays qui enferme les gamins qui rêvent de le rendre encore plus beau, tu n’es pas sûre que ce soit un pays qui aille très bien.