EDITO - Un naufrage nommé PJD

Par Aicha Akalay

Ils étaient côte à côte sur l’imposante scène installée au centre de Mohammedia. C’était le 3 octobre dernier, en pleine campagne électorale. Abdelilah Benkirane se tenait devant une marée de militants PJD. Près de lui, le candidat à Mohammedia, Saâd-Eddine El Othmani. Ce dernier a harangué la foule pour l’inciter à voter pour lui. Quelques minutes de discours, rien de percutant. Rien d’émouvant, surtout. Puis la bête politique s’est emparée du micro. Pendant plus d’une heure, même harassé, les traits tirés, Benkirane a interpellé, fait rire et applaudir chaudement son audience. Il a souligné les particularités du PJD, un “vrai parti” contrairement à “d’autres qui sont fabriqués”. L’homme au discours populiste plaît, il paraît sincère, et El Othmani pouvait compter sur son appui. El Othmani a bien été élu à Mohammedia. Il a même pris
la place de celui qui lui
servait d’arme marketing
auprès des électeurs. Mais
le tableau du PJD est
moins rose. Moins unis, même divisés, les islamistes déçoivent. Leur incompétence et leur absence de vision ne sont plus un secret. Cinq ans au précédent gouvernement l’ont démontré. Ce que le PJD version gouvernement El Othmani révèle, c’est la couardise et l’attachement aveugle au pouvoir.

 

Les cadres islamistes peuvent aujourd’hui dénoncer le “tahakkoum” – ils n’osent d’ailleurs plus en parler – ou encore se dédouaner et affirmer que les décisions ne viennent pas de chez eux. Mais les forces obscures du Makhzen, qui existent à n’en pas douter, ont dans ce cas bon dos. Ces islamistes au gouvernement ne disent pas toute la vérité. Le PJD a goûté au pouvoir, et comme toutes les formations politiques avant lui, il n’est pas près de le lâcher. Quitte à renier ses principes, à jouer les contorsionnistes et, surtout, à être à la tête d’un des pires gouvernements du règne de Mohammed VI. Le Maroc n’arrive pas à s’inventer un nouveau modèle de développement, pourtant crucial pour l’avenir de la population. Une menace insidieuse pèse sur les libertés et les crises sociales s’accumulent. Le tout sous le regard impuissant, voire désormais indifférent, du premier parti pour lequel les Marocains ont voté.

 

Cette fois-ci, alors que nous ne sommes qu’au début du mandat d’El Othmani, il faut prévenir : la victimisation ne marchera plus. Toutes les dérives du Maroc d’aujourd’hui se font avec la complicité du PJD. Nous avons, dans ces colonnes, dénoncé les campagnes hostiles et contraires aux valeurs démocratiques qu’a subies le PJD. Il est aujourd’hui nécessaire de reconnaître que ce parti n’a guère de meilleures valeurs. La première étant, pour un responsable public, la reddition des comptes. Les ministres PJD n’en font aucunement preuve. Leur dernière force, cet attachement inconditionnel au parti et à ses instances, s’affaiblit durablement. Voilà que certains veulent amender les statuts du parti pour que Benkirane brigue un troisième mandat (lire page 16). Et que les principales figures se désolidarisent de leur parti. Cela fut le cas lors d’une réunion de la majorité, où il a été clairement signifié devant El Othmani que le PJD était désigné coupable de la situation à Al Hoceïma. Les éléments de l’enquête sur l’avancement des projets du programme “Al Hoceïma, ville phare de la Méditerranée” iraient dans ce sens. Le Chef du gouvernement n’a pas bronché, il s’est par la suite vanté que les reproches étaient adressés à son prédécesseur et non à lui. Réaction humaine, diront les uns. Lâcheté, répondront les autres. Le goût du pouvoir est comme une plaie qui s’élargit, disait l’écrivain, peu à peu il détruit la personnalité. Les islamistes sont en bonne voie pour détruire leur parti. La seule question qui nous importe, c’est de savoir si le Maroc y gagnera ou y perdra.