« Le ministre n’a jamais voulu affronter les professionnels sur ce dossier« . Dans une lettre ouverte publiée dans la presse en fin de semaine dernière, le docteur Mouhcine Elbakkali, président de la Société Marocaine de la chirurgie réfractive et d’implantologie (SAMIR) s’insurge : »La greffe de cornée est monopolisée par deux structures privées et quelques CHU. Plus d’une centaine de malades n’ont pas accès aux soins« , résume-t-il.
Dans une série de questions, il interpelle le ministère de la santé sur « ce dossier qui date depuis 5 ans, sans solutions« . « Nous vous invitons à éclairer l’opinion publique et l’ensemble des ophtalmologistes qui se trouvent injustement privés du droit de greffer » tance le docteur. Contacté par Telquel, le ministère a apporté des réponses qui n’ont pas calmé l’indignation des professionnels.
La santé monopolisée ?
Parmi les points soulevés par la SAMIR, la concentrations des greffes de la cornée dans un petit nombre d’établissements : « Pourquoi la greffe de cornée est-elle monopolisée par une ou deux structures » ? Pourquoi les cliniques privées n’ont pas le droit de greffer« , peut-on lire dans cette tribune intitulée « Greffe de la cornée au Maroc entre Monopole et fausses promesses… »
Pour le ministère de la Santé, le terme de « monopole » n’est pas approprié : « les CHU relevant du ministère de la santé sont autorisées à faire ce genre d’opérations. De même les hôpitaux militaires et les centres hospitaliers Cheikh Zaid et Cheikh Khalifa« , précise le ministère. Concernant le secteur privée, les structures qui le souhaitent peuvent formuler leur demande d’autorisation de greffe qui « seront les bienvenues pour compléter l’offre au niveau national. »
A quand les autorisations de pratiquer ?
Une réponse décevante pour le Dr Elbakkali qui réagit : « Soit que Mr le Ministre de la Santé est mal informé, soit qu’il ne veux pas être informer qu’il y a au moins trois cliniques de renommée nationale qui bataillent depuis plus de trois ans pour avoir une autorisation de greffe de la cornée« , critique-t-il. Il cite également l’hôpital cheikh Khalifa qui « pratique les greffes de cornée depuis son ouverture« . Pour le président de la SAMIR le phénomène « pose des questions de favoritisme« .
Pour autant, le cabinet du ministère affirme n’avoir reçu « qu’une seule demande d’autorisation de greffe de la cornée d’une clinique privée« . Une version qui diffère sensiblement de celle évoquée par la SAMIR. Selon cette association, de nombreux établissements tels que Clinique Agdal Rabat, la Clinique d’ophtalmologie de Casablanca (OCC) ou Clinique de la vision de Rabat (CVR) attendent depuis 3 ans une réponse à leur demande d’autorisation.
Le nombre de greffés en chute
Autrefois précurseur dans le domaine de la greffe de cornée, le Maroc aurait aujourd’hui accumulé de nombreux retards selon la SAMIR. Celle-ci interroge le ministre sur le nombre de greffes de la cornée pratiquées aux CHU « qui avoisine le zéro » .
Un constat exagéré pour le ministère qui avance ses chiffres
Le nombre de greffes de la cornée réalisées au niveau des CHU est de 670 avec une centaine de greffes qui ont été réalisés en 2013 et 2014 et seulement une dizaine pour l’année 2015 par le CHU Mohammed VI de Marrakech. Vu la difficulté de payement, l’approvisionnement des CHU par la banque de tissus américaine a cessé.
Le ministère évoque néanmoins « les progrès » des banques de tissus de Rabat et de Marrakesh. Cette dernière ayant pu permettre 25 greffes de cornées sur la base d’organes prélevés au Maroc. Des données jugées incomplètes par le dr Elbakkali : « le comble est que Mr le Ministre de la Santé ne crie pas au scandale de constater que le nombre des greffes a chuté de 300 greffes par an, dans les années 1990 à uniquement 25 greffes par ans an « , s’indigne le docteur.
Quid de l’importation des greffons
Concernant l’importation des greffons, le ministère insiste sur le fait que « Toutes les structures qui réalisent la greffe de la cornée bénéficient de ces greffons importés selon leur demande et besoin« . Il reconnaît cependant des difficulté à s’approvisionner du fait de la complexité administrative « notamment la procédure de payement de la banque de tissus américaine qui livre les greffons. » Une réponse encore une fois décevante pour la SAMIR qui dénonce le manque de moyens d’un établissement à l’autre :
Mr le Ministre a omis d’expliquer pourquoi l’hôpital Cheikh Zaid et l’Hôpital Cheikh Khalifa arrivent à payer les greffons importés et pas les CHU qui dépendent de lui (et dont il est leur président du conseil d’administration).
Un phénomène qui générerait une santé à deux vitesse qui pénalise les populations précaires :
Nous nous retrouvons avec des patients riches qui peuvent se permettent le coût d’une greffe de cornée, et des patients pauvres dont le seul espoir été de se faire opérer en CHU et pour lesquels le ministère de la santé n’a pas encore trouver de solution.
Un « manque de courage »
Le jugement de la SAMIR est sans appel : « Le constat d’échec de la politique de greffe de la cornée est flagrant, le nier est un manque de courage« , répond-elle au ministère. Pour expliciter ce constant, l’association fait le parallèle avec la Tunisie. Malgré une population et un nombre d’ophtalmologistes sensiblement inférieur, le pays compte plus du double de greffes de cornée que le royaume en 2016 (400 au Maroc, contre 850 en Tunisie).
Autre différence, le prix de l’opération qui représente la moitié de celle au Maroc. La SAMIR s’interroge sur les « banques des yeux financées par les contribuables et qui ne fonctionnent plus« . L’association réclame ainsi des rapports précis sur les réalisations de ces banques. Entre les professionnels et le ministère, le conflit sur le dossier de la greffe de cornée n’est décidément pas prêt de se dissiper.
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