Fatym Layachi - Envie d’ailleurs

Par Fatym Layachi

Ça y est, la vie a repris son cours. Ramadan est terminé. L’été a commencé. Tu ne sors plus en jellaba fleurie et ta mère a cessé de passer ses journées à se plaindre. Et puis, surtout, tu as repris le boulot. Parce qu’il faut reconnaître que le mois sacré est pour beaucoup de gens autour de toi le mois de la glande en toute impunité. Toi, forcément, tu en profites, tu n’es pas vraiment du genre à en faire plus. Et sûrement pas quand tout le monde en fait moins. Pour conclure ces trente jours pendant lesquels ton activité n’a pas été intense, tu es bien évidemment partie en vacances. Tu as profité de ce long week-end pour t’offrir une petite escapade. Tu as traversé la Méditerranée avec Zee et sa famille, et vous n’étiez pas les seules parmi vos compatriotes à faire ce trajet.

Tu t’es retrouvée dans ce port, entourée de visages familiers qui allaient au même endroit que toi. Tu as beaucoup fait la bise et distribué des sourires complices. Tu as fini par te retrouver dans ce superbe appart avec vue sur mer où la tante de Zee passe ses étés et ses week-ends prolongés. Elle est installée dans un immeuble où elle connaît quasiment tous ses voisins, qui sont marocains. Tu ne vas absolument pas te demander comment autant de ressortissants d’un pays dont la monnaie n’est pas convertible se démerdent pour avoir autant de devises. Ce n’est pas le moment de polémiquer, tu es en vacances et tu préfères ton confort à la morale. Tu as donc passé quelques jours à profiter du soleil, des terrasses et à mater des touristes en sirotant de la sangria. Tu n’as rien fait d’exceptionnel mais tu as trouvé ça formidable. Tu étais dans une ville qui ressemble à tellement d’autres. Cette ville n’a rien de particulier, aucune merveille architecturale, aucune particularité historique remarquable, juste de jolies plages. A priori, ça pourrait être dans le plus beau pays du monde mais c’est ailleurs. Nos plages sont sublimes, nos paysages sont à couper le souffle. Pourtant, il y a un truc en plus. Tu le sens bien. Un tout petit truc mais qui fait toute la différence. Qu’est-ce qu’on cherche ailleurs ? Et qu’on a l’air de trouver… Visiblement pas le dépaysement vu qu’on a tendance à aller là où plein de gens qu’on connaît vont. Et que c’est précisément ça qui a fait choisir ce lieu de villégiature à la famille de Zee par exemple.

Toi, tu trouves que se taper huit heures de route pour continuer à faire de l’entre-soi, c’est un peu absurde ou très conceptuel. Dans les deux cas c’est révélateur de quelque chose. De quelque chose qui nous manquerait dans le pourtant plus beau pays du monde. Et finalement la réponse n’est pas très compliquée. Tu peux te promener, marcher dans la rue, sans te demander si ta jupe est trop courte ou si quelqu’un va te faire une remarque juste parce que tu es une femme. Tu te dis que tu pourrais rentrer à n’importe quelle heure avec n’importe qui et que personne ne trouverait à y redire. En fait, c’est juste que le champ des possibles te paraît plus grand. Tu trouves ça triste que ton pays ne t’offre pas ça. Et tu trouves encore plus triste le fait de ne pas avoir suffisamment d’humilité pour se rendre compte de ce qui ne fonctionne pas. Mais bon, comme c’est le plus beau pays du monde, pourquoi se remettre en question ? Là, tu es face à ton ordi et tu n’as aucune envie de bosser. Tu appelles Zee. Tu n’as qu’une envie : repartir en vacances. Ça tombe bien, elle aussi. “Bon, alors on va où ?”. “Où tu veux mais pas ici.” Comme tu es d’humeur à la contredire, tu lui demandes : “Pourquoi pas ici ?”. Sa réponse ne te donne pas envie d’argumenter : “Parce qu’ici, c’est ou hors de prix ou il n’y a pas grand-chose à faire.”