La plus arabe, la plus orientale, la plus anciennement civilisée, la plus méditerranéenne, mais aussi la plus centralisée, la plus laïque, la plus moderniste… Le plus berbère, le plus occidental, le plus traditionaliste… Au jeu des superlatifs, la Tunisie et le Maroc gagnent en pointant aux deux bouts de ce qui fait l’essence du Maghreb. Leurs positions géographiques respectives sont aussi des marqueurs culturels. Et pourtant, ces deux antonymes semblent connaître, depuis l’indépendance, une coopération sinon toujours dynamique, du moins jamais sérieusement menacée par un quelconque désaccord profond. Cette réalité diplomatique tient de la raison.
Ces deux pays n’ont jamais cédé aux tourments idéologiques, pas au point de leur sacrifier l’intérêt national et la vocation du pays. Si la Tunisie fut d’emblée, au lendemain de l’indépendance, républicaine, séculariste, moderniste et autoritaire, ce n’était pas par populisme tiers-mondiste. Bourguiba savait que l’histoire longue de la Tunisie est celle de l’épanouissement de la petite bourgeoisie commerçante alliée à un Etat centralisé fort. La république tunisienne, instituée après la chute du bey en 1957, n’a pas rompu avec son passé. Elle a simplement modernisé une culture politique à laquelle le Néo-destour convenait mieux. De fait, la continuité étatique en Tunisie est impressionnante, même dans le cadre englobant d’un empire, qu’il soit romain ou ottoman. Depuis Carthage, en passant par les Romains et les Vandales, jusqu’aux beys ottomans naturalisés par le pays, ce sont presque les mêmes villes, les mêmes classes sociales, les mêmes routes commerciales qui ont fait et qui continuent de faire la Tunisie. Cette continuité est très rare dans le monde arabe. La Tunisie la partage avec l’Egypte et… le Maroc. C’est probablement là que réside la clé de cette amitimaroco-tunisienne que ni l’idéologie ni les alliances internationales, parfois opposées, n’ont remise en cause. Certes, la culture politique marocaine est aux antipodes de la tunisienne.
Pays de hautes montagnes et de plateaux, alors que la Tunisie est une vaste plaine, pays du polycentrisme urbain et du pouvoir ambulant là où la Tunisie est un pays de centralisation précoce, pays enfin de politique coutumière là où la Tunisie est le premier pays musulman à s’être doté d’une constitution écrite, dès 1857. La politique au Maroc n’a semble-t-il pas grand-chose à partager avec celle de la Tunisie. Sauf la continuité, justement. Toutes les différences, réelles et importantes, ne sont pourtant rien face à ce point commun. Rabat comme Tunis sont les capitales d’Etats ininterrompus. Cela crée une physique du pouvoir particulière, et des sociétés civiles, que ni l’autoritarisme de Bourguiba ni les années de plomb sous Hassan II, n’ont détruites.
Abdellah Laroui rappelait que les constructions impériales unificatrices au Maghreb sont venues, tour à tour, de Tunisie (les Fatimides) et du Maroc (les Almoravides et les Almohades). Il l’expliquait par des considérations géographiques, les plaines tunisiennes et atlantiques permettant la rente agraire et donc l’Etat. Huit siècles après l’effondrement de la dernière de ces constructions pan-maghrébines, on peut voir dans la redynamisation d’un axe Rabat-Tunis une promesse : celle d’un Maghreb unifié non par le populisme postcolonial mais par la bourgeoisie et le capitalisme, et par ce qui va avec, la liberté et le pluralism