Ta vie en l'air. Sauvez l'école publique

Par Fatym Layachi

 

Le temps semble s’être arrêté. Les jours sont interminables et ce mois te donne l’impression de durer une année. Les nuits sont longues. Les journées sont longues. Heureusement, tu vis bien confinée dans ta bulle que tu crois hermétique à la chaleur et au bruit du monde. Tu mets la clim dans ta voiture et fermes les volets de ta chambre, ça te suffit pour croire que tout va bien. Pourtant, autour de toi, il s’en passe des choses. Ta cousine hystérique prépare son mariage, des manifestants de plus en plus en colère battent le pavé et des policiers de plus en plus énervés s’emportent de plus en plus. Et ce n’est pas uniquement la chaleur accablante qui échauffe les esprits. Tu as beau avoir l’impression que rien d’autre ne se passe, pourtant la vie continue. Et comme tous les ans à cette période, les bacheliers ont passé le bac. Plusieurs vidéos font le buzz sur Internet. Tu cliques et tu vois des jeunes parler de leurs examens au micro qui leur est tendu.

Bien évidemment, la première chose qui t’interpelle c’est ce désastre capillaire dans lequel sombre une partie de la jeunesse marocaine que les joueurs de foot ont déphasée esthétiquement. Mais le vrai scandale de la vidéo, ce sont ces aveux de triche par dizaines. Entre ceux qui regrettent de ne pas avoir pu tricher, et ceux qui racontent comment ils fabriquent leurs antisèches, il n’y en a pas un qui parle de révisions, de connaissances ou d’autres trucs dans le genre. Tu ne sais pas si tu dois rire ou pleurer. Tu te dis que si tu étais déjà une vieille conne tu les traiterais de petits cons. Mais tu te ressaisis rapidement. Ce ne sont pas des petits cons. Ce sont de pauvres victimes d’un système pourri. Dans la vidéo, il y a un mec qui ne sait pas dire un mot d’anglais. Vraiment pas un mot. Dans l’absolu, ce n’est pas un problème, le truc c’est qu’il passe son examen d’anglais une heure plus tard. Et même si c’est le plus gros glandeur de sa classe, il y a forcément un problème dans l’enseignement qu’il n’a pas reçu. Et ça, ça ne te donne pas envie de rire ni de pleurer, mais de hurler. Ce n’est un scoop pour personne, l’éducation nationale est dans un état catastrophique. Mais concrètement, on fait quoi pour arranger ça ? Pas grand-chose apparemment. Par contre, les journaux sont unanimes : les mesures à l’encontre des tricheurs seront d’une sévérité absolue. Ça ne te semble pas être la solution. Évidemment qu’il faut punir les tricheurs. Mais comme souvent ici, on prend les problèmes à l’envers.

On est bien d’accord, la finalité ce n’est pas juste d’éradiquer la triche, mais plutôt de produire une génération de jeunes gens prêts à affronter l’avenir, histoire de tenter de bâtir un pays qui va bien. Mais vraiment bien. Pas juste sur des cartes postales qui prônent la tolérance, l’hospitalité et la saveur de la pastilla. Autour de toi, tout le monde se dit patriote, mais pas une personne ne veut scolariser ses enfants dans le public. Et tu es prête à parier très gros que les dirigeants font pareil. Mettre en photo de profil Facebook le drapeau rouge et l’étoile verte, ça tout le monde adore. Mais de là à faire confiance au système scolaire de ce pays, il y a un fossé dans lequel personne n’a envie de s’aventurer. Bien sûr qu’on peut mobiliser toutes les forces vives de la nation pour chercher des poux dans la tête de certains Rifains particulièrement virulents. C’est assez facile, mais là encore tu as l’impression qu’on prend le problème à l’envers. Et puis la dignité, la justice sociale et une école de qualité pour ces gosses, tu trouves ça plutôt noble comme revendications. Tu ne comprends peut-être rien à la politique, mais tu te dis que si on espère que ce pays aille bien, ce serait la base.