Avant d’aller plus loin, laissez-moi vous souhaiter un bon ramadan, les amis. Mais on ne va pas se raconter d’histoire : ça ne se présente pas très bien cette année, tout le monde a l’air très énervé. Zakaria Boualem observe ce qu’il se passe autour de nous avec une angoisse résignée, un état d’esprit amplifié par les effets conjugués de l’hypoglycémie et de la déshydratation. Bon. Il est inutile de vous faire un résumé des activités qui ont lieu à Al Hoceïma, tout d’abord parce que vous êtes déjà au courant, et surtout parce qu’à la vitesse où les choses se déroulent, cette chronique sera obsolète avant d’avoir été imprimée. C’est qu’il faut faire attention : nous avons affaire à une superproduction, les amis, les standards sont très élevés. Il y a du suspense, de l’action, des intrigues, des courses-poursuites, et même un peu de larmes, avec des bisous entre les manifestants et les policiers au moment du fajr, le tout en direct sur nos téléphones, admirez-un peu la modernité du concept. Il faut s’attendre à des retournements de situation, des initiatives absurdes, des alliances improbables et des coups tordus, tout le monde retient son souffle. Pour mieux suivre la suite des évènements, il faut que Zakaria Boualem vous rappelle deux ou trois points importants.
1. Les Marocains sont un peu fatigués qu’on leur manque de respect. Ils peuvent exprimer ce sentiment à voix basse dans l’intimité d’un salon ou le brailler à pleins poumons dans la rue, ils peuvent le dire avec humour ou en faire des refrains de punk rock, certains peuvent même refouler ce sentiment et faire comme si de rien n’était. Le fait est qu’au fond d’eux-mêmes, les Marocains savent que le MarocModerne SARL n’est pas vraiment construit autour de leur bien-être, et c’est tellement évident qu’il est inutile de le démontrer.
2. Nos glorieux leaders savent comment réagir face à ces grognements. Ils ont des réflexes bien installés depuis des lustres, on connaît leur discours par cœur, relayé abondamment par la brigade des patriotes numériques. Les grognons sont forcément des traîtres financés par l’étranger (qui nous jalouse) pour semer la fitna (qui va nous plonger dans le chaos) et nous allons devenir la Syrie (aussitôt). Ajoutez à cette rhétorique éternelle un peu de zerouata, quelques postes de fonctionnaires créés pour l’occasion et voici soudain que les grognons rentrent dans le souk de leur tête. Pour un temps, car…
3. Il semblerait que malgré cette expertise, les grognements se multiplient. Oui, les manifestations deviennent de plus en plus fréquentes chez nous et si vous n’êtes pas convaincus, faites des recherches tout seuls, Zakaria Boualem est épuisé. Mais il y a un problème : maintenant qu’on a fait disparaître tous les leaders politiques crédibles, qu’on a expliqué aux Marocains que les institutions étaient inutiles, et qu’on a ridiculisé les partis, ces grognements deviennent plus difficiles à canaliser.
4. Il y a bien une solution, mais on ose à peine l’écrire tant elle est audacieuse. Imaginez, mes bons amis, que le MarocModerne SARL réalise une sorte de révolution mentale, et qu’il place le citoyen au cœur de ses préoccupations. Attention, on parle d’une révolution sincère, d’un changement d’état d’esprit aussi profond que subi, une sorte de miracle du ramadan. Qu’il oublie un peu sa passion de la cosmétique pour se dévouer au service des Marocains, du Rif et d’ailleurs. Qu’il arrête de considérer que “vive le peuple” est un slogan séditieux, par exemple — on ne connaît d’ailleurs aucun autre pays où c’est aussi le cas. Qu’il pense à nous glorifier nous aussi. Vous pouvez trouver d’autres exemples tout seuls, je vous répète depuis tout à l’heure que je suis terrassé par cette journée de ramadan. Il est même possible que je divague. Il est sans doute plus sage de vous quitter avant d’écrire de grosses bêtises, je sens que tout le monde est très énervé. Et merci.