Edito. Avec nous ou contre nous

Par Aicha Akalay

Nasser Zafzafi n’est qu’un agent à la solde des ennemis de la nation. Ou Nasser Zafzafi est un héros rifain animé par de nobles intentions : porter la voix des siens, les laissés-pour-compte, ceux que l’Etat oublie et méprise. Les défenseurs de l’une ou l’autre thèse sont pétris de convictions. Les premiers disent vouloir nous prémunir contre une fitna, les seconds tiennent enfin leur David qui fait trembler Goliath, un descendant de Abdelkrim El Khattabi contre le vil Makhzen. Ces deux camps qu’a priori tout oppose, et qui se définissent ennemis l’un de l’autre, perçoivent pourtant la vie politique à travers le même prisme, à l’aune d’une lecture paranoïaque. D’après ces lectures, les problèmes à Al Hoceïma, et finalement à l’échelle de tout le Maroc, ne sont ni complexes, ni confus, ni évolutifs, ils sont simples et peuvent être imputés aux uns ou aux autres, en fonction du camp auquel vous appartenez. La psychologie de ces acteurs est fondamentalement manichéenne. Et la paranoïa, constante dans toutes les sociétés humaines, est chez nous exacerbée.

Dans le premier cercle du pouvoir, tout est verrouillé et l’information excessivement contrôlée. L’ethos paranoïaque est la règle. L’une de ses déclinaisons étant la fermeture à ceux qui sont en dehors du système. Ceux qui pensent différemment, voire qui s’opposent à des décisions, ou à des façons de faire, prennent le risque de s’exposer à la foudre. Certains peuvent contribuer par des suggestions ou des critiques, mais ne le font pas. “Pour qui roulent-ils ?” est la suspicion qui les inhibe. Le pouvoir agit comme s’il était entouré d’ennemis et profère des accusations qui encouragent les théories du complot. Un canal de communication apaisé n’existe plus. Cette méfiance qui verse dans la paranoïa explique aussi l’aversion aux changements. Il faut préserver ce qu’on a face aux menaces extérieures — ennemis de l’intégrité territoriale —, et intérieures — tout ce qui menace notre élite centrale qui ne se renouvelle pas.

Quant aux opposants à cet Etat dominant, ils ont la même paranoïa, mais le pouvoir en moins. Ils attaquent par exemple, aujourd’hui et de manière assez violente, ceux qui n’abondent pas dans le sens de Zafzafi. Ces traîtres à la cause rifaine sont soit des suppôts du Makhzen, des Ayacha, ou des bourgeois inquiets pour leurs avantages. L’introduction de la nuance est contraire à la “pureté révolutionnaire”. D’ailleurs, Nasser Zafzafi condamne tous les représentants de l’Etat à la “poubelle de l’Histoire”. Il s’agit de s’opposer pour exister. Et tout est interprété, personne ne peut avoir son propre avis, être dans la nuance, parce que soit l’acteur est pur et donc totalement acquis à la cause défendue, soit il est manipulé et a un agenda caché. Ce qui manque à tous, c’est la confiance en soi et un peu dans les autres. Condition indispensable pour permettre le débat.