Quelle est la particularité du mouvement de contestation actuel à Al Hoceïma ?
Le mouvement de contestation à Al Hoceïma et ses environs a comme particularité d’être une rencontre entre des problèmes socio-économiques et une mémoire collective traumatisée. Cette mémoire collective reflète plusieurs choses. Tout d’abord, comment les acteurs imaginent subjectivement des événements de l’Histoire. Mais cette mémoire n’est pas l’Histoire. Cette mémoire renvoie aussi à un sentiment de marginalisation et d’injustice subies par la région depuis l’indépendance. Enfin, un certain nombre d’acteurs pensent qu’ils devaient jouer un rôle crucial concurrent à Rabat en tant que centre du pouvoir. D’où l’usage décontextualisé de l’expérience de Mohammed ben Abdelkrim El Khattabi.
Pourquoi cette contestation est-elle forte à Al Hoceïma et pas dans d’autres villes du Rif ?
Al Hoceïma est l’épicentre du Rif, stricto sensu. L’offensive de Hassan II contre cette région en 1958 commence à Al Hoceïma. Le soulèvement de 1984 commence également à Al Hoceïma. Et plus loin encore, le mouvement de Mohammed ben Abdelkrim El Khattabi démarre dans la région d’Al Hoceïma. Mais il n’y a pas un Rif homogène culturellement et politiquement.
Quelle analyse faites-vous du discours politique porté, entre autres, par Nasser Zafzafi ?
Le problème de la plupart des acteurs du champ contestataire, c’est le manque de formation politique. Or, quand une fenêtre d’opportunité se présente, ils sont dans l’improvisation, ils font du bricolage. Ils font feu de tout bois pour mobiliser. Et le récipient global dans lequel ils puisent leur répertoire d’action est le populisme.
Comment se traduit ce populisme ?
Nasser Zafzafi utilise plusieurs registres discursifs : le religieux, le gauchisme, le régionalisme et l’ethnicisme, c’est-à-dire un discours ethnique construit socialement. Il met l’accent sur des caractéristiques qu’ont les gens de cette région, à l’exclusion des autres. Nous sommes rifains, courageux héritiers d’El Khattabi, etc. Ce troisième registre a empêché le mouvement de changer d’échelle, de passer du régional au national, et d’avoir la sympathie populaire dans les quatre coins du royaume – levier indispensable pour faire pression sur les autorités. Un changement d’échelle est plus que nécessaire pour se faire entendre.
Et comment est utilisée la religion dans ce discours ?
Zafzafi a utilisé à plusieurs reprises les califes “dits bien dirigés” (arrachidine, ndlr) pour contester le statut de Commandeur des croyants du chef de l’État. En mettant en avant notamment la justice et l’humilité d’Omar Ibn Al Khattab par exemple.
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